Comté de Cholet
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Message  Chimera Jeu 23 Jan - 1:43

(Debut du RP: 8 Aout 2013 - gargote bretonne)

Axelle a écrit:La proposition avait été acceptée. Etrange quand tout semblait les séparer. Mais les apparences n’est-ce pas… Les pas des deux femmes s’engouffraient dans cette forêt que la Bestiole contemplait avec des yeux d’enfant. Là bas, chez elle, en Camargue, aucune forêt, juste le sel et les salicornes chatouillant les mollets. Les seuls arbres arrachaient leurs silhouettes tordues d’un ciel écrasant de chaleur et de bruissements d’insectes. La forêt, elle l’avait connue à Embrun, dense, noire, emplissant les narines d’un parfum de résine. Sylve terrifiante l’hiver quand le blizzard sifflait entre les branches aux doigts crochus, s’accrochant aux cheveux et aux vêtements pour ralentir les promeneurs téméraires ou égarés, dont certains disparaissaient sans la moindre explication. Les plus pragmatiques parlaient alors d’une crevasse ou d’éboulis tranchants, tant glissants qu’un pied mal assuré suffisait à précipiter un malheureux au bas d’un à-pic perdu dans les cimes. Les autres, ignorants des dangers des Ecrins ou simplement réfractaires à voir leurs montagnes assaillis des manants de la plaine, parlaient de bêtes monstrueuses assoiffées de sang.  La Bestiole, pour avoir ainsi disparu de longues semaines, savait où se trouvait la vérité, sans jamais pourtant l’avoir dévoilée.

Ici, la forêt était différente, plus verte, plus joyeuse, mais farouchement secrète. Un mystère aiguisant l’imagination comme rien, où l’envie de s’allonger et laisser l’esprit vagabonder tiraillait le ventre avide d’apercevoir une fée en grande discussion avec un korrigan.

Axelle était arrivée depuis peu en Bretagne, apprenant petit à petit à connaître ses coutumes, ses habitants. Elle repartirait vers Lyon, le doute à ce sujet n’était pas permis, mais pas tout de suite, pas encore.  Elle avait besoin de temps encore pour que les pleurs, les cris, les insultes tant données que reçues s’effacent, ou du moins ne soient plus douloureuses. Depuis des mois et des mois, depuis cette soirée où une blague de tabac pleine l’avait attendue dans cette chambrée de Dijon, la gitane marchait au bord d’un gouffre, dérapant souvent, s’en échappant parfois, mais le vertige ne la quittait pas. Aussi c’est elle qui avait tout quitté. Tout, sauf lui. Se déracinant avec acharnement pour pouvoir revenir en souriant. Neuve et forte, un jour.

Toute à sa découverte, elle posa son regard sur la rousse à ses cotés, prenant garde de ne pas marcher trop vite, sachant combien un ventre rond pesait sur le souffle. La première fois qu’elle l’avait rencontrée, c’était à son atelier, à la Ruche, et déjà la femme l’avait intriguée. Alors que chacun de ses clients, lors de leur première visite, tournaient un regard dubitatif sur son vieux fauteuil élimé déniché dans le fond de la basse-cour quand il faisait office de perchoir à poules, la rousse elle, l’œil expert, s’était extasiée devant le vieux meuble branlant. Et le plaisir avait été sincère quand la Bestiole l’avait retrouvée par hasard à Vannes, se laissant cette fois-ci intriguer par le silence hurlant de la femme, s’abimant à s’adoucir devant cette pudeur et à s’y trouver, curieusement pour la sauvageonne qu’elle était, en confiance. Et de non dits en non dit, de regards en regards, les deux femmes s’étaient laissées aller à parler plus librement… de peinture. Et c’est bien pour cela qu’elles avançaient dans cette forêt féérique. Le soleil était doux, s’amusant gaiment dans les ramures quand les arbres s’écartèrent pour saluer une prairie fraiche où trônait d’énormes rocs gris aux contours doux. Un sourire fusa aux lèvres d’Axelle en se tournant vers Chimera.


La lumière, l’est parfaite ici. C’vous dit qu’on s’y pose ?

Chimera a écrit:

    [Posons nous, dans les bois, pendant que le loup y’est pas]


Heureuse d’échapper aux dossiers de la procure, pleine de Loups et autres brigands voyous, plus encore de pouvoir jouer les dryades en compagnie de Maya, fauve glisse sans les voir ses pieds l’un devant l’autre, soutenant d’une main l’orbe proéminent de sa panse habitée, ronde comme sur le point d’accoucher elle-même de la prochaine pleine lune. Kerozer avait été un fin compromis, assez fourni pour être bois, assez près pour permettre l’échappée pédestre de l’abeille et du pachyderme.  

Le silence bourdonnant de la gitane lui va bien. Taiseuse à ses heures et fatiguée par les actes d’accusation et autres réquisitoires -qu’elle fera bientôt en vers pour en oublier l’illusoire, la scelaig apprécie l’absence de mots. Se substitue à ce discours coi les pianos de l’orchestre sylvestre, symphonie in-ouïe des trop bavards, que les deux semblent décidées à apprécier de concert. Elles laissent donc la parole belle aux premiers et seconds piafs, sur fond de bruissements naturellement dosés. Dans cette pièce à bien des becs, branches, et à quatre pieds, il est question de tableaux. Le domaine diffère si peu, au fond. Toute comtesse qu’elle est, orgueilleuse pour une forme qui ici n’a guère sa place, elle se considère comme artiste du dimanche. Au fond, elle s’endimanche bien souvent, mais l’approximation du jour est aux pinceaux et autres fusains.  La proposition ruche lui revient, à ce propos, et l’hésitation par celle là suscitée telle que le pied de l’instant tarde à se poser. Mis au pas par une conscience encore attachée aux apparences, il suit sa progression, toutefois. L’alcôve paisible lui semble presque trop délicate pour ses traits grossiers, trop humble pour son faste quotidien, trop vive pour ses lenteurs, bref, trop, malgré des statuts qui de prime abord ne parieraient pas là-dessus.

La brune à son côté lui rappelle un brin Lastree, fille des sens et sujette à l’errance, guère attachée, en apparence, aux choses des hommes. Lastree, elle, n’avait pas pu quitter Vannes. Pendant un temps, du moins. Elle avait cru que l’amie-soeur ne partirait jamais, et puis Mumia s’en était allé, et elle avec, comme si l’attache frêle s’était rompue, dénouée, laissant au troisième élément de l’équation, elle, ce sentiment souvent éprouvé et grandement réprouvé qu’est celui de ne pas suffire. Le regard vers elle coulé l’arrache à ses songes, sans pourtant qu’elle lui offre le sien, peu pressée de constater l’existence du lien qu’elle s’obstine encore à nier. A la sortie de l’artiste, elle esquisse pourtant un sourire.
La lumière est parfaite. Pardi qu’elle l’est, au sein de ces lieux que si souvent elle choisit pour officier ou méditer. Elle légèrement incline la nuque, donc, point trop pour ne pas perturber le fragile équilibre de son corps multiple, en validant.


-Posons, donc. Les assises proposées n’ont pas le cosy de votre atelier. Nous devrons nous satisfaire de leur rude rusticité. Elles ont déjà cela en commun.

Et nous?
Alors qu’elle s’exécute, la comtesse se surprend -au diable la retenue du public- à feindre l’attitude du sujet d’étude : le dos cambré, tête inclinée vers l’arrière, étendant lascivement une jambe au devant, le pied de l’autre replié sous le premier genou. S’autorisant un sourire, elle se redresse finalement et s’installe en tailleur.


- Vous avez un portrait d’avance sur moi.

Sans question, l’ivoire interroge le mat, Gwen interroge Du, composantes aussi antithétiques que complémentaires, aussi essentielles l’une à l’autre que l’ombre l’est à la lumière. Quant à savoir laquelle est quoi...
Du sujet de l’absence de Tabouret pour servir de fond, du reste, elle ne fera pas encore mention.

Axelle a écrit:[Si le loup y était… nous le mangerions]

Dans un froissement de tissu jouant en contrepoint au bruissement des feuilles, la fouine observa la fauve prendre ses aises sur le trône de pierre. Son regard s’abima sur la fine cheville blanche, sur le corps malmené par son parasite qui se délassait suavement, délaissant la rondeur insupportable du ventre pour se perdre mieux aux traits visage ou la force et la fragilité se battaient dans un ballet que la Bestiole se prit à admirer. Elle qui ne regardait que les hommes surprit un picotement incongru lui saisir la nuque sous le bleu qui s’échappa trop vite. La rousse était une énigme, un défit et Axelle se découvrait des caprices inattendus d’exploratrice. Dans un balais de boucles brunes, elle secoua la tête, chassant ces lubies étrangères et farfouilla sa besace pour en extirper deux vélins et deux sanguines. Le pas dansant et gai elle s’approcha de la Reine à son trône de granit pour et frôla le ventre plein de vie en lui tendant. Comme piquée au vif par le dard d’une guêpe, elle recula, ses yeux se fermant un instant, nez au vent comme pour reprendre son souffle, le cri de son enfant hurlant à nouveau entre ses tempes brunes. Cet enfant sur lequel elle n’avait pas posé un seul regard, cet enfant privé, même couvé dans son ventre, d’une main cajoleuse sous un regard rêveur. Cet enfant, comble d’égoïsme de deux monstres, privé de tout avant même d’inspirer sa première goulée d’air.

Personne dans ces contrées bretonnes n’en savait rien, sauf le flamand, qui même s’il ne disait rien, devinait. La Bestiole en était certaine. Son regard, la façon qu’il avait parfois de la prendre dans ses bras le trahissaient. Mais aucun mot, jamais, par pudeur certainement, par certitude de leur néant surtout, du moins Axelle en était-elle persuadée. Personne ici ne savait rien d’elle, et le seul indice qu’elle laissait en pâture aux curieux était un anneau d’argent à son annuaire, si discret que personne ne le remarquait. Et qu’il aurait pu être divertissant en d’autres circonstances d’étudier à quel point un sourire un peu trop effilé occultait la vérité.

La gitane flottait dans un monde d’ignorance. Ici elle n’avait pas de passé, en Lyonnais Dauphiné, pas de futur, simplement disparue pour tous, sans qu’aucun ne sache où elle se trouvait, ni même si elle vivait encore. Et c’était très bien ainsi. Elle avait voulu écrire pourtant, souvent, pour donner de ses nouvelles, pour rassurer, pour promettre qu'elle reviendrait, et surtout pour espérer en retour avoir des nouvelles de l’enfant, avoir des nouvelles de lui. Lui qui l’aimait comme un damné mais s’accrochait au purgatoire, refusant la moindre flamme de son enfer. Mais elle n’en avait rien fait et le besoin poignant passait, comme ses yeux se rouvrant sous la lumière dansante des feuillages, et elle oublia. L’oubli était son nouvel allié, même inconstant, il était le meilleur. Le passé s’étiolait et la flammèche dans ses prunelles s’évanouit. Le futur la laissait dédaigneuse, elle n’aimait que le présent et l’herbe pleine de senteurs fraiches quand elle s’y assit, maculant le vert de rouge au pied du gris et de l’ivoire. Et le noir prit le relais, invitant le bleu quand son regard mutin remonta vers la rousse.


Alors j’dirai d’reprendre les choses d’puis l’départ, pour rétablir l’équilibre. Un fin sourire glissa à sa bouche. Mais j’pose mes conditions. Qu’vous m’esquissiez quand l’vous croque. Son sourire s’aiguisa davantage, en matière de peinture la Bestiole était maitresse en son domaine et le savait, mais j’vais corser les choses. Une toile réussie, c’pas juste un joli visage reproduit, mais c’quand l’âme du modèle est mise à nue. ‘Lors, j’vous propose d’noircir vot’feuillet avec la partie d’moi qui selon vous m’représente l’mieux, et j’fais d’même avec vous. Z’en pensez quoi ? Et sans quitter les lèvres de son modèle d’un jour, muettes quand elles semblaient vouloir hurler tant de maux, sa main, commença à courir sur le feuillet.

Chimera a écrit:

    [Esquisses réciproques]


Démangeaison subite, l’enfant effleuré s’agite, sans à-coups, pourtant. Axelle est un condensé de retenue et d’effronterie, funambule des protocoles. Le pas est aisé, naturel, mais l’attention aiguisée de la comtesse note les allées et venues d’aisance, l’infime mouvement de recul, sage ressenti quant à la problématique engeance qui s’impose aujourd’hui entre elle et autrui. Axelle est curieuse, la coutume veut qu’on cajole le petit-être en devenir. Distance du à l’égard des titres ou réminiscence vive et de toute évidence cuisante ? Elle se surprend à se tendre futilement, comme pour aplanir –évidemment en vain- l’objet du trouble, visitée brièvement par la culpabilité. Peu connaissaient sa vérité. Elle la laissait supposer, de bon gré, sachant que ceux qui savaient auraient préféré ignorer.

A la proposition, les lippes se sont entrouvertes, comme pour laisser entrevoir l’idée d’une protestation bien qu’aucune ne s’échappe.  Entre croquer et mordre, il n’y a qu’un pas, voilà. Rousse n’aime guère l’inquisition, et elle aime maîtriser. Le terrain est instable, mais l’allure, les lèvres étirées sans malice apaisent. Elle ne se rebiffe pas.
Plutôt que de caliner l’avenir, elle a saisi ses armes. Egales. Chimera aime les jeux quand les règles sont identiques pour chaque partant. L’outil teinte le doigt pâle, légèrement, alors qu’elle le manipule. Di-doigt se laisse souffler, alors, le sujet de la conversation, mais rousse reste sourde, encore, aux prises avec la multitude des possibles. Estimer, pièce par pièce, la valeur de chaque part, et saisir l’essence de chacune dans son rapport au tout, déposer là. Poser sur le vélin, en l’état de cette connaissance embryonnaire, lui parait soudain terriblement arbitraire, presque grotesque.

Plusieurs fois, elle pose la sanguine sur le feuillet.
Plusieurs fois, elle se ravise, quand l’œil capte sur le corps un détail qui l’attire, qu’il délaisse ensuite, en quête du judicieux.
Mettre à nu sans dénuder, donc. Autant opter pour ce qui s’expose et est laissé à la vue. Rude et noir de l’humus du chemin, terriblement fier, au coup affirmé, c’est un pied, nu, donc, qui fera l’objet de son choix. Extrémité autant que point de départ, affrontant sans chausses les chemins d’ici et de là, qu’elle qu’en soit la nature, initiale de tout trajet, qu’il soit accointance ou errance. Moyen et fin, effronté, sans doute parfois malmené. Leur différence, bien que l’anatomie soit sœur, l’un chaussé, l’autre sans. Chaque trait confirme son choix, alors que les yeux sont faussement bas, vifs, non penauds.

C’est un risque à prendre, de coucher l’hic et nunc, sans rien savoir de plus que l’effet produit sur le tabouret de son modèle du jour. Quand le peintre s’expose, pourtant, mieux vaut ne pas lui refuser l’attention qu’il réclame. C’est bien, l’hic et nunc, permet de ne pas remuer trop.

Pudique, limitant son portrait à la frontière de l’étoffe, fauve interrompt son examen après avoir esquissé les contours de la cheville. Le linge ne l’intéresse pas, il n’apporte rien. Le coin de l’œil se détourne un bref instant, du peton devenu familier, pour aller happer l’image miroir de la main appliquée, autre extrémité, teintée elle aussi. Le constat arrache à l’artiste en herbe –littéralement et à ses yeux- un sourire qu’avec de la chance la distraite focalisée -sur quoi, d'ailleurs?- ne saisira pas.


- Un partout, donc…

Maintenant son croquis contre sa poitrine, elle tend le cou pour estimer l’état d’avancement du travail de l’abeille. Demander sans presser:

- Parée ?

Rousse n'est pas pressée. Est-il là question de connaître sur le bout des doigts?


Axelle a écrit:La main longeait le vélin, insouciante de la poudre rouge maculant le bout de ses doigts, et gentiment, la Bestiole s’amusait devant la rousse qui hésitait, allant pour tracer le premier trait, puis se ravisant, surprenant quelques regards studieux se posant sur elle.

Les lèvres entrouvertes ne mentaient pas, ni l’éclat fugitif de la prunelle bleue, la Bestiole jouait sur une limite ténue, mais l’attrait du dessin l’emporta, et la gitane se vit épargnée de rebuffades. Alors, elle suivit le regard bleu, en catimini, cherchant à deviner le choix que sa partenaire d’une journée voulait lui cacher. Mais entre son propre dessin à effectuer et filouter pour ne pas se faire piquer la main dans le sac de sa curiosité, elle échoua lamentablement, et finalement résignée, se concentra aux lèvres que ses mains avaient choisies de s’approprier. La tache n’était pas aisée, la moue oscillait entre pudeur et sagesse mais la courbe s’abimait d’une sensualité troublante. Assez troublante du moins pour que la dextérité habituelle de la peintre en soit enraillée. Alors, forcement, quand la tête s’éparpillait et que la main dérapait, c’est contre toute attente le travail de la peintre qui se fit désirer quand l’élève de quelques heures cachait déjà jalousement contre son sein le fruit de sa concentration. Prise sur le vif de sa nonchalance, Axelle se déroba, faisant mine d’être dérangée par un moucheron opportun ne voletant que par les mirettes noires escortant son vol factice, avant qu’une main parfaitement agacée ne fasse mine de le chasser. La moue contrite d’excuse fut divinement mensongère et un restant de pudeur lui interdit d’orner son stratège de mots superflus.

Et penaude, quand pas un seul instant la fauve ne l’avait été, se remit au travail, étrangement embarrassée d’être livrée en pâture au regard bleu la surplombant. Dans son atelier de la Ruche, l’emplacement de sa table à été étudié avec soin pour que la Gitane puisse déceler chaque détail d’un visage tout en restant elle dans l’ombre, protégée des regards. Et enfin, victime elle-même de la fanfaronnade qu’elle avait lancée, posa la sanguine et releva le museau avant de se percher sur ses genoux, tortillant son cou pour tenter de percer le croquis camouflé. Mais peine perdue, entre la poitrine et le ventre rebondi toute indiscrétion était impossible. Elle abandonna donc son dessein fureteur et se contenta de retrouver son sérieux, sans grande conviction, l’espièglerie naturelle retrouvée qu’elle sentait poindre à nouveau en elle était bien trop radieuse, dans ce ciel si longtemps gris, pour chercher à l’étouffer.

Alors elle pencha la tête, laissant encore son regard dévier sur les lèvres qui, à n’en point douter malgré qu’elles aient été croquées, gardaient tout leur mystère et dévoila son esquisse en s’étirant, doucement nonchalante.


J’ai choisi vot’bouche. Judicieux, p’tet pas pour vous, m’direz, lança t-elle désinvolte, mais à mes yeux, c’l’est, et la justification en est fichtrement simple. Elle sourit doucement avant de mordiller ses propres lèvres, cherchant ses mots pour tenter de se faire comprendre au mieux, c’cause qu’j’désirais les dessiner elles, sans trop savoir pourquoi. Et quand j’peins, j’suis souvent mon instinct. Son regard se détourna un instant, capté par un rai de lumière se dispersant délicatement dans les feuillages, avant de reporter son attention sur Chimera. Et vous, z’avez suivi vos envies ou mes paroles au pied d’la lettre ? Demanda t’elle en tendant le menton vers le feuillet secret quand sa main se posait sur le roc gris, frôlant sans pourtant la toucher, la cuisse d’ivoire.

Chimera a écrit:

    [Duel d’autruches en cours de self-confidence]


Sans méfiance, et du bout de ses doigts ocres, elle tend le pédestre portrait tout juste réalisé. La distance n’est pas longue à couvrir, les mirettes curieuses et leur enveloppe se sont portées à la rencontre du vélin. Mis en scène dans son écrin herbeux, peton est étendu nonchalamment, en extension comme témoignant d’un bien-être inconscient, comme naturellement dirigé vers … vers quoi, ou qui, question posée. Les traits des contours sont appuyés, tandis qu’une fine brume sanguine emplit l’intervalle. Honneur se devait d’être rendu au grain mat, définition d’elle, preuve d’ailleurs.

Adepte du troc, et pour s'éviter l'angoisse de l'examiné, elle appelle en contrepartie le travail de l’abeille. Le premier coup d’œil suffit à la détromper. Il ne s’agit pas là d’un quelconque travail. Chaque trait véhicule le plaisir qu’Axelle semble avoir à le tracer. Les lèvres esquissées sont entrouvertes. Est-ce par là qu’elle laisse filer tant d’êtres ? Ce simple questionnement provoque la clôture du modèle. Elles sont entrouvertes, entrouvertes et sereines, figées dans l’attention silencieuse que l’exercice a nécessité. Pas pincées, pas dédaigneuses, pas méprisantes, ces quelques traits sont presque un baume. Comme pour faire mentir le croquis figé, en bonne orgueilleuse taquine amatrice de derniers mots, elle s'autorise un léger sourire. Mirettes luisantes en accord se relèvent vers l'auteur félin, qui semble au vu de sa pose et malgré ses mots ne pas douter de la pertinence de son propos:


- C’est judicieux pour moi, parce que ça l’est pour vous… en accord avec votre consigne. Le choix est souverain.  Il est souverain, et révèle au fil du jeu quelques bribes de son enjeu.

Elle est si proche, tout à coup. Soit. Réciproque pour réciproque. Esquive autant qu'apprivoisement, la rousse se penche –du mieux possible, pas évident quand on porte la lune- pour défaire son pied droit de la chausse qui l’abrite. Dans le mouvement, elle ne cherche pas à éviter l'effleurement, que la curieuse butineuse ne semble pas craindre ou réprouver. Exposition volontaire, révolution discrète, émancipation du dimanche. Les orteils, toujours enfants, viennent taquiner un brin le tapis de sinople, alors que la rousse tend à nouveau son support à la brune.

- Une figure imposée, désormais, pour maintenir l’équité. Prenez mon pied, je … m'occupe de votre bouche.

Evidemment, elle a buté sur l’expression, moins décomplexée sans doute que l’accoutumée des portraits, mais qu’importe, l’heure n’est plus aux mots, et déjà les azurines, sans secret cette fois, détaillent les lippes à bien des titres interlocutrices.

Axelle a écrit:Son pied. Le choix pouvait-il être plus judicieux ? Non. Sa vie, au final, pouvait se résumer aux seuls moments où elle les avait mis à contribution. Légers pour danser, lui épargnant les bastonnades paternelles, ou bien ensorcelants sans le deviner. Décidés pour fuir un avenir refusé ou un présent insupportable. Malicieux pour acérer, à son plus grand étonnement, l’appétit d’un fauve. Et aujourd’hui, la rousse, esprit aiguisé s’il en était, avait posé son choix sur cette courbe brune étrangement décriée ou choyée. Si elle n’en dit rien, la lueur virevoltante dans ses prunelles noires et effilées ne pouvait mentir sur l’appréciation. Le défit avait été relevé haut la main par celle qui doutait pourtant de ses aptitudes.  

Les mots choisis pour rétorque aux siens dessinèrent un fin sourire aux lèvres purpurines. L’enjeu, quel était-il ? Si la question la brulait, elle se tut, se contentant de relever les mirettes pour débusquer là, un sourire. Friandise à ce point rare que l’envie la submergea de reprendre sa sanguine pour se jouer de commissures et figer cet instant précieux. Le figer sur le papier, ou le laisser vibrer à sa bouche. L’idée lui parut étrange, incongrue, mais belle et bien présente, chatouillant ses tempes avec sournoiserie. Et une évidence se dessina avec une netteté jubilatoire. Si elle osait, pleine de cette liberté neuve, que risquerait-elle ? Rien. Ou presque. Le jugement du Très Haut pouvait bien aller au diable. Maudite par son époux, excommuniée par l’Eglise, qu’avait-elle encore à craindre du Ciel ? Des miettes de remontrances peut-être ? Au contraire, elle s’amusait déjà imaginer Aristote se triturant les méninges à savoir ce qui était le plus condamnable entre choyer le corps de ses semblables ou les transpercer de sa lame. Un évêque rencontré à Dijon lui avait bien expliqué que la faute n’avait pas été de tuer, mais de l’avoir fait sous les étendards royaux. Qu’ôter la vie sous la bannière de l’Eglise était un acte pieux mais la frivolité le pire des fléaux. La Bestiole, malgré le souvenir vague qu’elle gardait de sa pastorale en était restée dubitative, et d’un haussement d’épaules avait choisit de suivre sa propre conscience, sans plus se soucier des bigots. Cette option écartée donc, les feux de l’enfer crépitant déjà sous ses pieds sans la moindre contrition de sa part, restaient à craindre deux revers. La gifle, ou de ne pas aimer le contact de lèvres féminines sous les siennes. A moins finalement que le vrai danger soit au contraire d’aimer… Mais à cet instant, l’air était trop frais pour s’abimer à trop de réflexion. La gitane profitait simplement sereine de ce jeu légèrement piquant au gout d’inconnu papillonnant sous son regard. De ce souffle qui frôlait et effleurait dans un froissement de tissu et le bruit sourd d’une chausse délaissée.

Les rôles devaient s’inverser. Le retour de bâton était malicieux et doux. Mais les lèvres à croquer désormais se pincèrent, se tortillèrent, se laissèrent mordiller de ses crocs blancs. Mais vaincues, privées de toute échappatoire et déjà victimes du regard d’azur s’abandonnèrent.


Soit, prenez ma bouche dans c’cas. Le sens des mots lui échappaient, inconscients, sous le couvert de la soi-disant leçon. Mais contre toute attente, ses mains d’un geste lent déposèrent sur l’herbe et feuillet et sanguine. La peintre n’avait plus envie de dessiner, mais se prenait, égoïste, à songer à ce qui lui avait tant manqué. Et les amandes noires s’abaissèrent sur le pied dénudé, fin et digne.

Je m’occupe de vot’pied…

Les mains avancèrent, effleurant la peau d’ivoire lisse sur la cambrure offerte, avant de s’y poser et d’amadouer de légères caresses jusqu'à masser de la pulpe des doigts la cheville menue, Bestiole presque servile si elle n’avait été si libre de tout.


… j’sais trop le poids qu’peut être une grossesse.


Et de poids, il n’était question ici en aucun cas de préoccupations physiques. Mais Axelle par deux fois privée, de son fait, de ces attentions, se trouvait incapable de ne pas les offrir à une autre, paradoxe d’altruisme dans la profondeur abyssal de son égoïsme.

Chimera a écrit:
    [Quand le propre l’emporte sur le figuré.
    C'est du propre...]

Elle a foncé dans le panneau, et la rousse, encore étourdie par la détonation du non-dit, contemple le minois sans finalement tant de retenue que ça. Aux yeux de Cholet, Axelle est un livre ouvert, mais en langue étrangère. On devine le sens de certains caractères, quand d’autres nous échappent en mystères impénétrables. Faux amis, aussi parfois, ceux qu’on pensait comprendre, et qui finalement s’avèrent autres. Ceux-là sont ses préférés, quand la surprise est bonne. En l’occurrence, la rousse peine à la juger, cette surprise de la voir dédaigner l’atelier, comme soudain rendu indigne de son intérêt par un chantier nouveau, lui-même soufflé par quelque brise inspirée.
Pour s’occuper et dissimuler son trouble, la fauve, sauvage des salons, grincheuse de la vieille école, grand-mère précoce aux habitudes trop bien vissées, s’accroche à son ouvrage, réticente au changement, et esquisse, donc, bonne élève, le contour des lèvres. Les siennes se replient en le dedans que dans leur retraite elles verrouillent, intuition-reflexe, quand l’air crépite d’une tension absente encore un instant auparavant.
Jaugeant le modèle, les sourcils un brin froncés, ayant rapidement retrouvé l’assurance de celui qui sait où il va, elle saisit le menton mutin entre le pouce et l’index, pour exposer à sa vue les stigmates d’un accident barrant le coin gauche de la bouche . Pudique, malgré la séance en cours, elle ne demandera rien –il faut museler l’imagination- et se contente, prise en compte discrète d’un heurt passé, de glisser le pouce sur la lézarde. Sans violence, sans désir de se faire pénible réminiscence, curiosité simple sans aucune révélation forcée.

Prise au pied de la lettre, soudain.
Nota Bene : Les couronnes et l’aura qu’elles confèrent aux corps pour la plupart des êtres n’atteignent pas l’abeille. Logique, en somme, mais quand même. Après que le pied, par l’intermédiaire du trait, ait été élevé au statut d’intimité, la démarche résonne comme une avancée osée en territoire privé. De là à l’invasion, il n’y a qu’un pas pour le breton chauvin. Grand-mère pudibonderie contre-attaque, et le pied nationaliste frémit, parcouru d’un infime sursaut, mais Axelle, fine adversaire sans avoir conscience de l’être, distrait par quelques mots. A ceux là, d’autres, en écho, comme à l’issue d’un fil de pensée. Le reste, ellipse évidente au vu du ton employé, s’impose comme une évidence superflue.


- Celui là naitra.

Contrairement aux deux précédents, dont un volontairement. Ca, la gitane pas besoin de le savoir…encore. Le voudrait-elle seulement ? Bref, c’est tu, refus de transformer la clairière en un énième bureau des pleurs. Celui là naîtra, la sortie se veut promesse, engagement, presque. Les serments, elle l’a vu récemment, se jettent et se piétinent avec une déconcertante facilité. Engagement, donc. Ca fait presque match, et c’est au fond un peu là l’idée. Peut-être cette fois-ci l’enfant l’emporterait-il dans ce conflit d’apparence inégal, faisant payer à la mère le prix des deux vies jamais abouties. Elle n’aurait d’autre choix que d’assumer la conséquence qui viendrait, tout en souhaitant, mine de rien et bien au fond, saisir la chance de faire moins pire. Fastoche, diraient les autres, au vu de ses fiascos maternels répétés. Et pourtant…

- Bientôt, je crois.

Plus tôt que tu ne crois, surtout. Alors qu’elle divague, elle note qu’elle a omis, malgré l’envie initiale, de soustraire aux manuelles attentions l’objet de leur exercice. Peton ronronnerait, s’il pouvait, sous ces égards trop rares, et la fauve intention se trouve à manquer de résolution. Femme à qui l’on dérobe un pied accorderait-elle donc sans peine le surplus ? Se superpose alors au visage d’Axelle celui de la tendre Maewenn, tant aimante qu’à deux doigts d’être amante, refusée, en sentence du délit de chair jamais vraiment pardonné. Axelle, par contre, impulsion sans doute, auditrice appliquée des sens, se voit accorder sans qu’elles aient été demandées des permissions qu’il y a une heure encore la rousse aurait refusé de considérer. Accès accordés à des routes qu’il y a une heure, peut-être, l’abeille n’aurait pas même pensé explorer. Seule Elisabeth, au fond, et sans qu’aucun statut de confesseur soit invoqué, posait sans crainte d’être rabrouée ses doigts clairs sur l’échine sœur. Mais de l’ivoire délicat d’être sauvage il n’est pas question, bien qu’entre l’abeille et la diaconesse la comtesse trouve des affinités.

-Pourquoi m’avoir proposé ? Vous prendriez vraiment le risque que je donne vie sur votre fauteuil pendant une causerie des pinceaux ?

Sous couvert de la plaisanterie, c’est « Je suis pas si douée » que dit l’azur, sans qu’aucun son ne suive la question. Une autre vient, dans le même temps. Saurait-elle ?

- Vous n'avez toujours pas croqué mon pied...

Sait-on jamais, finalement, au cas où la ruche ne serait pas digne de son talent.

Axelle a écrit:Le peton restait adorablement sage, délicatement offert aux attentions appliquées de la Gitane. Et s’il était insolite, ce petit pied à se laisser dorloter de la sorte, ronronnant comme un petit chat improbable, les menottes brunes, elles, sans chercher plus loin que le bout de leurs doigts fins et agiles se plaisaient sur l’ivoire. Les interrogations pouvaient bien glisser sans trouver prise aux tempes félines tant l’envie ravinait ses veines.

La caresse à sa lèvre marquée d’un souvenir secret fut bien moins tranquille. Et si la pulpe du pouce brula la fêlure blanche, ce fut tout autant motivé par l’envie de le mordre que par le regard dément qu’il fit resurgir du passé. Ce regard d’humus qu’elle avait soigneusement gardé pour elle. Le seul à qui elle avait osé se confier avait répondu d’une interrogation sur son état mental, la faisant aussi vite rentrer dans sa coquille, vexée, emmenant avec elle cette rencontre qui longtemps avait hanté ses nuits la laissant désarmée et seule, encore. A tous les autres, elle avait menti comme une arracheuse de dents, même à Serguei qui pourtant lui avait sauvé la vie, à elle et à l’enfant. A lui, le mensonge avait sonné comme un aveu et le Lion avait compris. Si bien compris qu’il avait tout muselé en lui. Et sous la pulpe du pouce les lèvres se contractèrent brièvement avant de laisser la curiosité au gout d’interdit chasser l’indésirable cauchemar.

Dans la gangue verte du feuillage suavement bruissant tout s’estompait. Le bien, le mal devenaient relatifs, et qu’importait que le corps face au sien soit jumeau, il était chair, délicieusement doux et sentait si bon.

Tout comme avec Alphonse, l’art entre les deux femmes était étranger d'un vulgaire bout de vélin, mais tenait dans celui, bien plus délectable, de dire tant en une infime pincée de mots. Et rompue à cet exercice, Axelle appréciaient et comprenait. La fauve devant elle était terrorisé et esseulée face à cette grossesse. Tout comme elle l’avait elle-même été, et se débattait comme elle pouvait et pour le cacher, et peut être le nier. Etrangement, la rousse se fit reflet, souvenir encore vif, encombrée d’une vie qu’elle devait tisser seule, fils après fils, pour la seconde fois, sans bras aimants, sans sourires, sans paroles pour l’apaiser et bercer ses nuits. Seule, définitivement seule malgré quelques efforts consentis, quand son besoin de tendresse était gouffre, et qu’elle avait, promesse vitale à elle-même, repoussé jusqu’à la chaleur d’Alphonse. Chavirement volontaire pour s’épargner un naufrage irrémédiable.

Devant ces mots, devant à cette maternité éclatante et à n’en pas douter lourde à bien des égards, le désir afflua au sang malade et corrompu de la brune. Désir poignant d’être celle qui réconforterait, un peu, comme elle pouvait, avec sa maladresse et ses erreurs. Besoin confus et inexplicable d’être celle qui donnerait, tentative décalée peut être, idiote surement, de se pardonner son odieux abandon. A moins qu’il ne s’agisse d’une vengeance inconsciente contre celui qui tant et tant l’avait réduite avec dédain à la courtisanerie la plus sordide quand elle luttait pour ressembler à ce qu’il attendait d’elle, en vain. Tous ses efforts avaient été vains. Il n’avait rien vu, englué dans sa hargne toute puissante, destructrice pour lui et pour elle. Et comme un pied de nez, elle s’était sauvée par le biais même qui lui était reproché, et de se sauver, elle continuerait, encore et encore et même par le désir le plus ambigu auquel elle se cognait face à la fauve.

Elle contempla la Reine sur son trône de pierre un long moment, sans que ses mains n’interrompent leur ballet de caresses, et pencha doucement la tête. Sa voix était basse et enrouée quand elle rétorqua, plus douce que provocante.
M’semble à moi qu’les deux questions à s’poser sont pourquoi vous, vous avez accepté d’me suivre. Le tissu sous ses mains s’échappa. Où serait l’outrage ? De froisser l’étoffe si précieuse ou de perdre ses mains jusqu’à la naissance de la cuisse pâle ? A moins que les plus fautives ne soient les lèvres crayonnées qui effleurèrent celles esquissées, les baignant d’un souffle ardant, et j’dirai qu’la seconde est, souhaitez vous vraiment qu’j’vous croque simplement d’une sanguine sur un vélin ? Puis dans un sourire effilé ajouta dans un mumure, j'prends tous les risques...
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Message  Chimera Jeu 23 Jan - 1:47

Chimera a écrit:
    [Like the leaves at my feet
    He is a victim of gravity
    The unbearable colour of things
    Gets him down

    And as his raincoat covers me
    We know it was never raining]*

- Seuls les fuyards et les politiciens répondent à une question par une autre. Il m’avait semblé que vous n’étiez pas de ceux là, surtout qu’elle n’était pas piégeuse. Vous veillerez à m’expliquer. Si vous vous montrez convaincante, je vous suivrai jusqu’à la ruche.

…mais vous ignorez ce que vous récupérez. La fauve a des poussées de comtessité. En voilà une, presque survenue en direct, mais guère trop aigüe, retenue à temps par les amarres du lien naissant, équation aux inconnues nouvelles dont les affres des nobles instincts acquis sont absentes. L'être là, du reste, répond sans qu'elle ait besoin d'en dire mot à la première question. Les "Pourquoi" sont mis au rebut, quand les élucider apparaît compliqué. Poussée number 2. On n'avoue rien à la gueuserie.
Chimera n’est pas –ou plus- d’un naturel confiant. Glanant l’attention d’autrui comme un naufragé cherche radeau, lisant davantage son portrait dans le miroir des yeux d’autrui que de son propre fait, elle a tout intérêt à bien choisir les mirettes en face. A s’abîmer trop dans l’océan des remises en question et des échecs permanents, on finit par s’offrir âme et corps à tout –Poséidons salvateurs- ce qui réclame autre chose que des comptes et des ripostes. Sirènes ou pas sirènes, peu importe, au fond. Le chant est doux l’instant qu’il dure. Celui d’Axelle est faits de courbes et d’effleurements, d’appuis soigneusement choisis, comme si aux mains les pieds expérimentés soufflaient leur chemin. Menottes gambadent, donc, sur la terre vierge de la chair opaline.


- Je doute d’etre à votre gout… et le sens propre fait mal…

Que cherche l’abeille à fureter ainsi autour d’un suc dont elle ignore la saveur ? Toujours aux prises avec le tournis causé par le ballet butinant, elle laisse aux hypothèses le soin des décisions. Sceller n'est pas son fort, c'est là imposer leur courbe aux choses, et elle se voit peu démiurge, pour avoir trop été roseau. Roseau, là, s'offre à la suggestion, assez curieux de nature pour laisser la bise décider de son inclination...
... euh, non, inclinaison.


- … si le jeu vous semble en valoir la chandelle…

Axelle est aventure. En cela elles sont sœurs, à s’engouffrer dans les possibilités disposées en chemin sans envisager trop les heurts au détour. Au premier pourquoi, une once de réponse. Cette aventure là n’est qu’une de plus et la rousse, en compagne de route appliquée et guère compliquée, se laisse mener par le bout du pied. Entre celle qui explore la chair supposément proscrite, et l’autre grosse d’une étreinte sans nœuds, laquelle est gourgandine ? La question reste en suspends, congédiée par force des choses, alors que, ayant délaissé son ouvrage, senestre choletaise se crispe –comme Constance sort les griffes sous l’effet jouissif d’une caresse bien sentie- sur l’étoffe de sinople. Le tissus, docile malgré la maltraitance, se ploie au mouvement papillonesque et découvre quelques pieds de chair auparavant dissimulés.

-Il n’a pas de père.

Elle saisirait l’idée, a priori peu sujette à la notion d’immaculée conception. Les mots d’Elisabeth résonnent : Ma mère se nommait Archibald, ça n’a si mal marché que ça. Les mots, donc, occupent les lèvres, entretien futile de dehors courtois, livraison, tout à la fois, car lorsqu’on se laisse découvrir, autant confesser avant d’être jugé.

*Emiliana Torrini - Thinking out loud.

Comme les feuilles à mes pieds,
Il est victime de la gravité,
L'insoutenable couleur des choses
L'écrase et l'abat.

Alors qu'il me couvre de son imper,
nous savons tous deux que pourtant il ne pleut pas

Axelle a écrit:[Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
Ce qu'elle cherche, amie, est un lieu saccagé
Par la griffe et la dent féroce de la femme.
Ne cherchez plus mon coeur ; les bêtes l'ont mangé.]*



Le sourire s’affine, la tête se penche encore. Politicienne elle l’est, sauf en politique. Politique de la pudeur, politique de la réserve, réservée à ceux qui plaisent. Qui plaisent trop ? Certainement, et la fauve en fait les frais et s’en insurge de mots quand pourtant, rétorque il y a, là, juste au bout des doigts bruns qui dessinent sur la peau quand le vélin se montre trop frustrant par ses limites imposées. La rousse parle grogne presque, mais le corps, lui, énonce la seule vérité quand pas un instant il ne cherche à s’échapper. Ce langage là, Axelle le comprend, quand les mots mentent sans le moindre remords, la gorge, les hanches, les yeux, la bouche ne sont que vrais. Et cette vérité là, il est trop tard, la gitane la désire. Egoïste diront certains, mais est-ce mal quand elle ne demandera rien, elle ? Et si le jupon s’efface de lui-même, ou presque, elle ne le voit pas, captivée par cette bouche qui ose croire ne pas être à son gout, mais l’entend. Les mots meurent dans le bruissement.

Axelle si elle n’est pas farouche, s’offre pourtant rarement. Le tri est méticuleux, même si une tocade idiote l’a entachée il y a de cela longtemps. Mais ceux qui ont gouté à ses caresses pour se perdre à sa peau brune effleurent juste les doigts d’une main, et l’auriculaire sera pour la fauve. Ainsi le souhaite t-elle, pleine de cette langueur et douce qui l’étourdit d’une saveur neuve et délicate. Axelle n’a plus peur des chutes, elle est tombée de bien trop haut pour ne pas être brisée, même si doucement les éclats de son âme reprennent leur place dans un ballet calme et appliqué.

La fauve dévoile sa jambe, la fauve dévoile sa faute. Lequel des aveux est le plus touchant ? La brune ne cherche pas à savoir et se laisse bercer, sans lever le moindre sourcil.

L’mien n’a pas de mère.

L’équilibre est de mise, et elle ne rechigne pas à le maintenir. Même s’il égratigne de part et d’autre. Il n’y a rien à dire de plus, aux rebuts les détails du pacte sordide. Les deux femmes se comprendront. Un parfum d’entente et de compréhension plane légèrement depuis que le bleu a croisé le noir. La raison est là, simple, évidente de cette curieuse invitation. Mais de mots, Axelle est boiteuse. Alors les lèvres, inutiles aux palabres, se posent sur leurs jumelles, l’abeille se fait papillon rouge pour n’être que plus légère au baiser qu’elle offre. Elle s’y perd, velours craintif hésitant à rompre l’instant éthéré.


Vous vous trompez, vot’gout m’trouble et m’plait…


Les lèvres restent là, tremblantes d’envie de picorer encore, quand la dextre s’affole d’un frissonnement, longeant la cuisse enivrée de sa découverte, de la douceur de l’ivoire et encore pudique, détourne l’écrin encore interdit pour s’abimer à l’os de la hanche caché sous le voile fin de la chemise. Les amandes noires et brillantes se fondent dans le ciel d’azur et la voix se brise.


… Et si j’suis au votre, d’gout, laissez-moi le savourer encore… J’ai proposé, naïve et innocente, j’ai pris les risques et m’voilà piégée.

* Charles BAUDELAIRE, Causerie

Chimera a écrit:
    [Je voletais dans les ténèbres
    A l'allure d'un convoi funèbre,
    Je goûtais l'air de la nuit,
    Je ramais sans faire de bruit
    Dans l'épaisseur du silence,
    Lorsque je fus ébloui
    Par une chaude incandesence
    Qui émanait d'un beau fruit.

    Ma mère m'avait prévenu :
    "Méfie-toi des ampoules nues,
    Ne t'approche pas de ces globes
    Qui mettront l'feu à ta robe.
    Les papillons insomniaques
    Y trouvent un aphrodisiaque,
    La mort est au rendez-vous,
    Au mieux tu deviendras fou."]*

L’ampoule en a sûrement la carnation. Communicatif, l’ocre des lippes déteint, et vient colorer les joues vierges, conquérant sans chercher sans doute à l’être vraiment. Fille, mère, sœur, maintes fois amante sans avoir jamais été pleinement épouse aux yeux des Fois bretonnes, elle se surprend à explorer sans honte aucune dans ce pays où la souillure n’est jamais conséquente pour qu’on lui préfère la mort. Axelle est vierge de la trahison qui l’avait conduite à repousser Maewenn, aussi elle ne la refuse pas, méditant alors qu’elle tâtonne sur les raisons de l’émoi du corps. Peut-être le brun en face est-il mû par ce même désir aveugle de se trouver, grégaire pour être reconnu, en contact avec la chair autre, jusqu’à prendre le risque d’affronter jugement et autres sévices. Le sien, rivé d’attentions, tant par le fait d’une volonté chancelante que par le désintérêt qu’une carcasse ronde de la semence d’un autre produit chez l’homme, il se trouve ravi de frissonner sous le contact inattendu. Fille de la Mère, elle ne se formalise pas que l’auteure soit sœur. Les mots, cette fois, clarifient les intentions. Un partout, au jeu de la tromperie.

- Vous dressez un portrait de vous qui ne me convient guère. Vous en parlez mieux sans rien dire…

Poussée de comtessité number 3. Question d’orgueil, ne pas se laisser dicter trop longtemps le contenu des didascalies. En ce Samhain des jours d’été où les frontières sont abolies, le gros de la distance ayant par l’impulsion bourdonnante été comblée, elle n’a pas grand effort à faire pour couper l’herbe sous le pied à l’effrontée qui non contente de s’être emparée, annonce la récidive. Gourgandines ? Peut-être. Nuls besoin d’accorder altiers statuts aux humbles jours pour que justes femmes ouvertes au monde, elles se trouvent alliées sur les terrains de la curieuse gourmandise.

- Vous ne m’y reprendrez pas.

L’azur, là, brille d’un éclat malin alors qu’une fois encore, les mots se font mutins, jouant plus désormais avec l’idée d’une réticence que par volonté réelle de tenir à distance. Preuve. L’épaule aurait repoussé. Le cou tendre, lui, en ce qu’il a d’intermédiaire, ventre mou que tout félin ou caparaçonné protège assidument, fait l’objet du choix de la dextre. Cessant de chercher l’appui du tapis, elle s’y glisse donc, doigts presque hésitants, chaste encore tout en connaissant comme la sienne l’encolure flattée. Le piège supposé est installé. Pégase, Icare animal, a voleté trop près de l’incandescence. Le duo de funambules poursuit sa progression, chaque pas consistant à rétablir l’équilibre que le précédent, audacieux, a menacé. Quand les pattes d’abeille se glissent pour abolir les distances, griffes fauves, sans s’opposer, réclament, ne serait-ce que pour sembler pouvoir disposer. C’est sans compter sur le pouce, qui lui, dissident, frôle la chair dans un léger balancement, comme pour saisir mieux la nature du grain en cas de croquis futur.
Toujours, elle s’est laissé conquérir. Toujours, à l’initiale du moins, lui revient le choix de déterminer les frontières. Prévôt à ses heures perdues, le procureur accorde donc Laissez-Passer, en scellant l’accord par un nouveau baiser. Un murmure, ensuite suffit, pour continuer d’effleurer les jumelles avides tout en refusant de ne se consacrer qu’à elles. L’échange, dans toutes ses acceptions, reprend, donc :


-Ecrirez-vous ? Pour l’être un peu. S’il vit. Nous pourrions le faire de concert…

A l’autre, que chaque pas rend plus familière, elle confesse à mi-mots une vérité que tous en Bretagne connaissent. Ceux qui ne la fréquentent guère la croient sans doute sans parents ni rejetons. Loin d’être rejetés pourtant, ils se trouvent distants, et la mère, poule sans se faire geôlier, a laissé faire, jusqu’à permettre une dérive apparaissant aujourd’hui comme irrémédiable. Les yeux s'égarent un instant, suivant le cours de ceux qui contemplent plus le dedans que le dehors, jusqu'à ce que de son errance maussade, elle soit tirée par une subite protestation du corps en passe de réitérer l’expérience maternelle, peu enjoué à l’idée d’être l’hôte de pareille passoire. Une brève exclamation, plainte inattendue, s’échappe des lèvres choletaises alors que les doigts pâles quittent la chair brune pour se poser sur l’alcôve raidie de la vie à germer. Les sourcils se froncent, alors que les lèvres s’entrouvrent sur l’expression muette d’une surprise des premières loges.

* Thomas Fersen - Pégase

Axelle a écrit:[Non non tout mais pas ça
Tais-toi, tais-toi, non ne raconte pas ça
Oh non non non
Tais-toi]*


La peau d’ivoire frissonne d’un éclat neuf sous les doigts impudiques et téméraires apprenant la douceur et le parfum suave de la chair jumelle, se délectant de découvrir quelques indices semés ça et là, la guidant, bien plus discrets et fragiles que les preuves évidentes d’un homme. Elle découvre, elle explore la Bestiole, curieuse, avide de savoir, peu pressée de comprendre ce corps semblable au sien mais si parfaitement étranger. Et si elle s’enivre de cet apprentissage charnel et soyeux, elle s’amuse de découvrir les méandres de l’esprit féminin, source de tant et tant de questionnements masculin. Un instant même, elle les comprend quand l’incontournable « les femmes sont compliquées » éclate dans sa cervelle étourdie.

Contradiction et volte-face, est-ce donc cela le secret des femmes pour être à ce point source d’incertitude. Est-ce là l’arme pour faire tourner les têtes ? Si tel est le cas, la faune excelle dans cet art. Après s’être insurgée du manque de mots, voilà que quand la brune lui en offre, elle les préférait tus. Axelle doit-être un peu homme car le manège élégant lui fait tourner la tête à tel point qu’à défaut de plus savoir où faufiler sa main, elle ne sait plus que dire.

Mais la fauve est bien habile, et joue de celle qui se croyait prédateur d’une main qui s’invite au cou brun, accueilli avec bienveillance par les amandes noires qui s’alanguissent sous les fines paupières. La peintre est aveugle pour que le laisser passer ne soit que plus suave à ses lèvres qui tremblent paresseusement, à sa peau qui se laisse apprivoiser sous la caresse sœur.

Comme il aurait été doux que les lèvres se contentent d’embrasser, mais les voici qui parlent. Si les mots sont choisis pour être doux. S’ils sont dénués de la moindre ombre de jugement, mais gorgés des intentions les plus pures et les plus altruistes, Axelle se tend pour mieux se refermer. Idiotement, elle n’est pas prête, bêtement, elle est incapable de répondre, stupidement elle rouvre des yeux trop vifs qui retrouvent le ciel d’azur. Simplement la proposition, si sage soit t-elle, est impossible, mais la force de le dire, elle ne l’a pas. Pas encore. Pas maintenant. Pas là. Mais les mots de maux se soustraient. Le temps se suspend, accroché à une plainte, à cette main qui la quitte pour, geste inutile, cajoler le ventre soudain trop dur. Si la Bestiole n’est plus mère, elle n’en à pas moins enfanter. La respiration s’affole, les yeux s’agrandissent démesurément, la main fuit avec vivacité l’écrin qui s’apprête à donner vie.

Un instant hébété, les bras ballants, l’ordre des choses s’impose férocement, chaque parole prend sens.

Il vivra. Sa main se pose légère, se voulant rassurante sur celle qui tente de se libérer de l’étau. N’bougez pas. J’vais chercher d’laide. J’fais vite, d’accord ? Et elle se relève, attendant l'accord par pur principe quand c'est l'accalmie qu'elle guette.



*L’affaire Louis Trio, Tout mais pas ça.

Chimera a écrit:
    [La plus belle chose au monde, la naissance d'un enfant.
    La joie qui vous inonde, le bonheur d'être maman
    La plus belle chose au monde, la naissance d'un enfant
    Depuis que la terre est ronde, quel précieux moment]*


Axelle, en mère confessée, réagit, et d'amante se propose aidante. Elle donnerait presque -presque- raison à la fauve de maudire encore la vie qui à nouveau s'immisce dans un instant auquel elle aurait dû être étrangère. Pourfendeur des instants volés, comme pour les condamner, ou simplement s'y inviter, l'enfant s'impose donc, comme si l'évidence de sa présence ne suffisait pas déjà. En d'autres moments, la druidesse aurait considéré la question du comment une si petite chose pouvait forcer artistes et titrés à modifier le cours de leurs activités. En d'autres moments, donc. Évidemment. Comtesse proteste, autant pour libérer l'abeille de la corvée auto-imposée que pour la rappeler à sa mission première, elle aussi choisie.

- Non, non ce n'est rien.

Chimera, dans un acte de bravoure pour affirmer ses dires et rassurer l'alarmée, s'appuie sur le roc -il ne faut pas moins pour supporter la démarche- et se redresse également. Malheureuse. Accalmie viendra, mais pas maintenant, ou brièvement, seulement, le temps de la réalisation qu'il est trop tard pour dire non. Œdipe des clairières, elle a déclenché l'issue qu'elle tentait d'éconduire. La joie qui vous inonde? Non. Les eaux, et l'angoisse des douleurs à venir, par contre, oui. Alors que le sinople s'assombrit et que l'étoffe s'alourdit, elle pose sur la gitane des yeux paniqués. Elle est bien forcée d'avouer, dissimulatrice trahie, que non, non, contrairement aux jours précédents, ce n'est pas rien.
La main, comme pour retenir ce qui vient d'annoncer l'heure de l'émancipation, se pose en soutien, réitérant pour une probable ultime fois ce geste qui, là, se sait pourtant vain. A défaut d'empêcher, elle retardera, peut-être.

De l'aide, propose la savante. L'indétermination plait à la rousse qui, trop amère, trop pleine de valeurs si chères qu'elles en changent de sens -quand précieux devient onéreux- et finissent par être haïes. L'indétermination, donc, plait à la rousse, autant que le concours proposé. Peu importe qui viendra, elle lui en laisse le choix. Savoir que quelqu'un vient, déjà, suffit. Les noms qui lui arrivent, à elle, sont disqualifiés, par le passé ou par des égards destinés à leur épargner la scène annoncée. Alors elle laisse le silence éloquent confirmer, comme pour mieux hurler: Vole, Maya. Vole.

Ca va faire mal. Elle a des choses à payer, pour les deux précédents qui n'ont pas vu le jour. Comme pour hâter le relatif plaisir, une secousse vient lui vriller les entrailles -ou sont-ce les reins? Impossible à dire, sur l'instant- et la force dans l'instant de répit qui suit à retrouver le plancher herbeux qu'elle a témérairement et très inconsciemment quitté.
Ca fait déjà mal.
Il y a des moments où les Comtés n'aident pas. Compter, peut être, mais Cholet n'y suffit pas. Faute de moutons, elle attrape les frondaisons du bout des yeux -faute des doigts d'un père, et les détaille, comme si quelques branchages entremêlés pouvaient, de par leur simple complexité, divertir ou, à défaut, occuper. Le petit, lui, ne se laisse pas oublier, et le corps, traitre lui aussi, s'allie au projet d'évasion. Les muscles se tendent, sans jamais rompre, trop régulièrement pour lui permettre de tenir le compte. La condamnée souffle, quand le juge Nature décide qu'il est temps pour la procure...


Anaïs, La plus belle chose au monde, Part I

Axelle a écrit:[Help, I need somebody,
Help, not just anybody,
Help, you know I need someone, help.]*


N’a t-elle pas compris la fauve désirée que l’abeille, à trop butiner, ne sait que trop ce qui se trame sous ses yeux ahuris? A-t-elle l’air à ce point naïve que la rousse se pense assez finaude pour la berner de quelques mots ? A moins que ce ne soit pas elle que la rousse cherche à abuser, mais bien sa propre cervelle en niant ce que son corps hurle pourtant.

Mais nul n’est besoin d’insister, le corps toujours vainqueur impose sa loi, et l’auréole qui envahit le sinople coupe court à tout discourt de son dictat. L’enfant va naitre, ici et maintenant et n’autorise plus aucun babillage. Le silence parle et la flammèche s’envole dans un dernier regard qu’elle tente d’apaiser à la future mère.

Elle court, idiote de son invitation, avec seules ses jambes pour alléger sa bêtise. N’est-ce pas connu, quand on n’a pas de tête il faut avoir des jambes? Trop insouciante, elle paye le prix fort d’être trop écervelée quand au final, la facture, c’est la rousse qui risque de la régler si elle n’est pas assez rapide. Donner vie seule, pas même à sa pire ennemie elle ne le souhaiterait. Elle connaît trop. Rien qu’effleurer l’idée que la fauve puisse subir le même sort lui lacère le ventre en communion avec la presque amante. Plus vite elle chasse les branchages qui entravent sa course, tant pis s’ils éraflent ses bras et s’amusent de ses mollets. Petit Poucet, elle sème de petits éclats rouges, la vieille robe se sacrifie à la cause d’une chevelure flamboyante. Là sera son dernier exploit. L’abeille bourdonne d’essoufflement quand dans sa tête déjà la liste se forme, linges et eau. Ridicules précautions quand l’aide qu’elle s’empresse de quérir, si elle la connaît maitre dans l’art de faire gonfler les ventres, elle ne sait rien de son aptitude à les faire dégonfler. Pourtant pas un instant l’évidence n’est remise en cause. C’est à lui qu’elle fait confiance et quand bien même connaitrait-elle d’autres quidams en cette terre d’exil bretonne, c’est vers lui qu’elle aurait accouru de la même manière. N’est-ce pas lui qui l’a prise sous son aile quand infirme d’une main, sans explication, elle s’est tournée vers lui? Si. C’est suffisant.

La forêt s’éclaircit enfin pour laisser les murs gris de la cité l’engloutir sous le martèlement affolé de ses pieds. La course pas un instants ne ralentit, qu’il soit là, c’est tout ce qu’elle espère. Les façades défilent, anonymes quand enfin celle qu’elle espère se dessine. Revigorée, les marches se dérobent sous ses pieds dans un charivari de boucles noires et de froissements rouges. La porte est ouverte à la volée, sans prendre le temps de rien, entorse à la règle pour convoi exceptionnel. Les yeux ne le cherchent même pas, elle déboule.


Alphonse ! Braille t-elle en tirant les draps pour les entasser sous son bras. Alphonse ! Venez ! Maintenant ! Oubliez pas l’eau ! Magnez-vous ! Soudain, elle comprend combien elle doit paraitre ridicule et surtout incompréhensible et son regard balayant enfin la chambrée sans pourtant voir. Chimera, son p’tiot, va pointer l’bout d’son nez en pleine forêt. Vite ! L’a d’jà inondé sa robe ! J'besoin d'toi.

*The Beatles, Help!

Alphonse_tabouret a écrit:Les pas étaient précipités, et suivaient la gitane qui les bras chargés, volait de pas en pas, presque sans toucher le sol, oiseau ensanglanté dont la course éperdue avait tout de l’urgence que requiert parfois la vie. Et lui, suivait, sans bien savoir pourquoi, peut être juste parce que le ton d’Axelle ne portait en lui aucune compromission, parce que, même inutile comme il ne manquerait pas de l’être, l’ordre était donné jusque dans la syllabe, intransigeant, désespéré.
Les directives avaient été criées jusqu’à l’autre bout de la maison, et l’effervescence avait contaminé la moindre ombre de la demeure quand Axelle et Alphonse avaient quitté les premiers le havre de pierre pour rejoindre le bouillonnement vert de la forêt avant de déboucher sur la clairière où les pigments n’avaient plus leur place quand dans la flamme rousse qui suspendait le temps de son agonie.

Rarement dans sa vie Alphonse se sentit plus inutile, insignifiant et déplacé qu’à cet instant ci.
Depuis son arrivée en Bretagne, depuis qu’il avait rejoint les murs de Cholet, le regard sévère de Chimera ne lâchait pas son ombre dès qu’elle rentrait dans son champ de vision, froide, hargneuse, chancelante. Si le chat ne s’en offusquait pas, laissant le soin aux autres de le juger sans jamais chercher le démenti, curieux des extrapolations et de l’imagination, peu habitué à ce que l’on fasse cas de ses ressentis, il avait appris à éviter la régente autant que possible sous son propre toit. Les amabilités étaient dispensées au strict minimum et il n’alimentait la mauvaise humeur de Sa Grandeur qu’au minimum par respect pour Annelyse et Axelle qui semblaient, elles, s’être entichée de la mégère.

Et pourtant, Goliath à terre, il se sentit un David de trop.

Pourquoi diable Axelle était-elle venue le chercher, et pourquoi avait-il suivi avec cet empressement imbécile, les pas précipités de la gitane jusqu’à la désagréable facétie que le hasard choisissait de lui soumette aujourd’hui…
Bruissant dans toute son âme, les fils entrecoupés du destin qui se tissaient autour de lui depuis quelques mois s'entichèrent de ce nouveau canevas et noyé dans les visions du ventre rond d'Axelle et du sourire de Maltea, il perdit pied, une seconde, le temps d'une respiration. Trop peu savant pour être médicastre, trop embourgeoisé pour avoir accouché un quelconque animal, Alphonse, comptable de vingt-quatre ans, porta le regard sur Chimera, pour la première fois détaché de tous ces masques, de toutes les poses auxquelles il l’avait soumise jusqu’alors, balayé par l’image de ce corps en souffrance d’une délivrance, comprenant jusque dans sa chair la torture à venir de la douleur qui enfantait, il avança, les sens hagards quand ses tempes prenaient le relai de leur logique la plus immédiate, jusqu’à s’agenouiller à côté d’elle.
La main fraiche du brun vint chercher le visage de la bretonne, délicate, sans la moindre sensualité, le geste pourtant enrobé d’une tendresse rassurante et chassa du front la pellicule humide qui s’y était formée, apposant au regard le sien, et demandant, calme:


-N’y a-t-il aucune chance que je puisse vous transporter jusqu’à Cholet ?

Chimera a écrit:
    [On avait dit « Not Just Anybody »!]

Contre la vie fugitive la fauve a lutté, et le corps prend doucement les stigmates de l’effort en cours malgré les réticences rousses. Elle guette, depuis bientôt une éternité, le visage ami –ou pas, plus d’importance- d’une femme, mère, ovate, experte de l’expérience qu’elle ait été vécue d’un bord ou de l’autre. Azylys, Elizabeth, souvenirs de promesses d’accompagnement que la chi-mère, dans son mutisme antérieur, n’a pas communiquées. Il serait vite l’heure de les regretter.
Alors que déboule Axelle en la compagnie élue, la comtesse en souffrance s’accorde le privilège d’un bref nota bene. Il est l’heure de les regretter. Dans sa demeure, elle n’a pas trouvé plus judicieux que le dandy qui vient. Personne ne s’était donc alarmé du vacarme qu’elle avait du faire en déboulant ? Les azurines se vissent sur les pupilles d’onyx, troublées sans s’autoriser à se montrer outrées, par simple respect pour le choix qu’elles ont laissé. La comtesse n’est pas en position de se montrer hautaine. Doublement contrainte à l’humilité, elle concède une acceptation de plus à l’impulsive. Et pourtant, lui, l’homme abeille. Un coup d’œil suffit à invoquer le souvenir de cette soirée où les amicaux sentiments à l’initiale développés s’étaient évaporés. Il avait suffit d’une courbette et d‘un sourire trop appuyé à sa parente, consécutif aux œillades à Axelle, pour que la susceptible se fasse girouette et passe des sourires aux traits assassins. Alphonse l’ignore sans doute encore, mais c’est là un point qu’ils ont en commun. Il apprendra plus tard, peut être, que le dédain qui lui est témoigné est plus issu des méandres torturés de l’autocritique que d’un jugement dont elle a déjà plusieurs fois fait la désagréable expérience. Bon produit des valeurs du temps, elle se dégoute, quand elle y pense, et le spectacle d’autrui trop galant n’est qu’un ravivement de trop.

Le corps, tendu, proche de son état le plus animal, se rebiffe donc, cette fois sauvage sous le contact trop tendre bien que plus pratique qu’incliné. La combinaison est antinomique, entre la vexation qu’il n’ait pas été doux, la jalousie exclusive presque maladive appliquée à un être pourtant guère convoité, le désir d’échapper à son attention sans que rien ne motive ce sentiment. Mesure préventive, instinct impérieux, le cou raidi soustrait la tête à l’attention déplacée, quand l’idée d’un déplacement l’étant tout autant vient se proposer. Entre deux souffles, qu’elle peine à trouver autant qu’à retenir, elle grogne :


- C’est a près de 40 lieues d’ici… Comment feriez-vous ça, Atlas ?


Ca en fait, des pieds. Ceux de la comtesse, eux, ont déjà témoigné leur refus, fichés dans l’herbe grasse comme ceux du colosse à ses jetées. Les mots crus, eux, agressent. Ce qu’elle ne dit pas, la comtesse, c’est qu’elle a mis son ainé au monde dans l’inconfort d’une voiture, les reins en vrac sous les secousses du pavé. Non, malgré le gout prononcé de cette ère pour l’excentricité, elle ne donnera pas vie à dos d’homme, bien que la symbolique puisse tenter. Bref. La question révèle l’inexpérience, et les azurs embués oscillent, hésitants à réclamer d’autres bras. Jamais l’idée, cependant, n’atteindra les lippes –pour le salut d’une abeille et sous l’urgence d’une violente secousse qui pousse le dos à se cambrer.
Les lèvres s’entrouvrent pour donner place à un cri muet. La bête a son orgueil. Pour encore un moment. La chair hurle pourtant déjà, et la senestre choletaise s’est emparée de l’avant bras Tabouret, qui sera là pour souffrir à défaut d’autre chose. La trainée, ou dite comme telle, entrouvre les cuisses sur l’impulsion traitre échappant à toute négociation. Le navire aspire à sortir du port. A Alphonse, un regard aussi méfiant que défiant, peu ravi d’avoir à se fier mais contraint par la force des choses. Elle murmure -essaie de, mâchoires crispées, mauvaise sans l’assumer :


- Vous semblez vous y connaitre, en ce qui est d’ici. Si Axelle vous fait confiance pour extraire comme pour planter, alors je m’en remets à vous.


Voilà le modèle catapulté à l’actif, non sans écoper d'une salve acide au passage.

--Fanchenn a écrit:- Nag a zudi ...

Posée sur une grosse pierre, la terreuse fugueuse lançait mollement des petits cailloux sur le chemin de terre. Enfin, fugueuse… Fugue t-on vraiment à 25 printemps? Ses yeux marron-cochon vont rencontrer le ciel - pas d'aide là-haut - puis, dans un effort considérable, elle lève ses lourdes hanches. Y a pas à dire, enfanter c’est pas de tout repos pour les corps des femmes. Non seulement ça fait affreusement mal mais après on devient lourdes, fatiguées, grosses.

- Qu’est-ce que je fais maintenant?

Il y a à peine une petite semaine, Fanchenn avait donné la vie. Le petit n’avait pas vécu plus de trois jours et elle n’était pas restée plus de quatre chez sa mère. Virée, dehors on n’en parle plus, une bouche de moins à nourrir ! Vingt-cinq ans, célibataire, ayant une certaine propension à tomber amoureuse de tous les hommes qui lui content fleurette : une vraie plaie pour sa génitrice. Bonne à rien, alors que deux de ses sœurs étaient mariées et son jeune frère suait aux récoltes. Pourquoi ne pouvait-on pas être payé pour la bonté de son cœur ? Car oui, oh oui son cœur est bon. Tellement qu’elle a cru trois hommes séduits par ses formes généreuses et sa naïveté, trois hommes à qui elle s’est entièrement donnée après des déclarations faciles, trois hommes et deux bâtards au compteur, tous envolés. Mais le dernier, c’était un coup dur. Cet homme lui disait de si jolis mots, pourquoi n‘était-il pas revenu ?

Les hommes mentiraient-ils pour passer du temps auprès des femmes ?
Mais c'est affreux.

Les poings viennent se loger sur ses hanches. D’un côté la ville, de l’autre la forêt. Elle va rejoindre la ville. Elle va apprendre à lire et à écrire. Elle deviendra Duchesse de Bretagne. Non, non, pas crédible. Sa chaussure épuisée cogne contre un caillou. D’abord, on s’assoit. Rejoindre une ville d’accord, apprendre à lire et à écrire pourquoi pas. Et compter aussi, ça pourrait s’avérer utile. Puis acheter un lopin de terre ? Commencer à écrire de la poésie ?

Oh se sont des beaux plans sur la comète qui se dessinent, des jolis rêves de femme qui n’est plus si jeune mais pas si veille, et pourtant, si simplette. Mais même ses rêveries, on les interrompt.

Sur ce chemin où elle est assise, une femme passe en courant en direction de la ville. Il faut peu de temps pour qu’elle passe dans l’autre sens, accompagnée d’un homme. Des gens ? Qui courent ? Des brigands ! Le nez se fronce sur ses tâches de rousseur et la callipyge blonde suit les coureurs, trappeur de situation cocasses. Quoiqu'ils fassent, ça la sortira du désœuvrement.


- Gast !

Une femme, un homme et une autre en mauvaise posture.

- La tuez pas !

Plomplomplom, les hanches marquent la démarche pressée et douloureuse, même si elle essoufflée et vache à lait, elle ne laissera pas ces gens commettre un meurtre ! Voila une belle action qui ferrait d’elle une héroïne paysanne et qui peut-être, ramènerait le roux troubadour dont l’enfant était enterré. Mais une fois plus proche de la scène, ça n'a définitivement rien d'un meurtre.

- Ma doué, elle est trempe… Oui oui. J’connais ça. Vous voulez d'l’aide médicastre ?

Et bien oui, un homme sur un lieu d’accouchement qui ne ressemble pas à un pouilleux est forcément médicastre.
C’est une histoire de bon sens paysan.

Axelle a écrit:[C'est le malaise du moment
L'épidémie qui s'étend
La fête est finie, on descend
Les pensées qui glacent la raison
Paupières baissées, visages gris
Surgissent les fantômes de notre lit]*



Sa faute, pleine et entière. Faute à des doigts trop curieux. Faute à des lèvres trop envieuses. Et même si ce n’était pas le cas, cela resterait sa faute. Faute d’avoir invité. Faute d’avoir été quérir. Mais la leur aussi, la même, stupidement partagée, celle de l’avoir suivi. Comment ces deux êtres qui semblaient pourtant lucides avaient ils pu ne serait-ce qu’un instant s’égarer à la suivre ? Elle qui était maudite. Elle qui ne semait par trop d’inconstance que le saccage. Elle avait le beau rôle, avec ses manières frivoles, son sourire avare et ses pas dansants d’entrainer les autres dans ses dérapages. N’avait-elle pas détruit par un trop plein d’égoïsme ceux qui l’aimaient ? Si. Et si elle oscillait entre la culpabilité et la victimisation à outrance, devant la scène improbable se déroulant à ses yeux spectateurs, elle ne pouvait que s’en vouloir. Chimera au lieu d’être allongée dans l’abri de son lit mou, se trouvait allongée sur l’herbe qui ne semblait plus accueillante pour deux sous, avec un homme de toute évidence tout aussi paniqué qu’elle.

Et elle, la Bestiole, avec ses grands airs de défit, de j’ai peur de rien, de je prends tous les risques, la seule certainement dans ce trio qui aurait pu aider, se trouvait tétanisée de peur par des souvenirs finalement bien trop vifs, cachés à la va-vite sous des rires et des semblants de force frondeuse, incapable en définitive d’affronter ses démons, rejetant ses responsabilités sur les épaules d’autrui.

Inutile. Volontairement invisible, quand Alphonse cherchait à apaiser, se forçait au calme et que la fauve trouvait la force de s’en insurger quand la douleur tenaillait ses entrailles. Un jour, peut-être, à eux aussi, trouverait-elle le courage de demander pardon de les avoir plongés dans une situation si affligeante. Peut-être le ferrait-elle si tant est que cette fois elle parvienne à leur dire en face, défit que jusqu’à présent elle s’était montré incapable de relever. Peut-être que si elle avait su…

Mais le moment n’était plus à ces questionnements et ces remises en question stériles par trop de retard. Trop terrifiée qu’il ne vive pas, ou peut-être encore plus qu’il vive et que son premier cri lui lacère les tympans. Egoïste jusqu’aux bout des ongles, incapable de songer à autre chose qu’à sa propre douleur quand la fauve ployait sur son tapis d’infortune. Se faire minuscules, disparaître, se faire mobilier qui à défaut d’être salvateur serait utilitaire.

Une femme surgit. Elle ne dit mot, ne regarde même pas mais s’agenouille et relève la tête flamboyante. Lentement, sans heurs, la liane rouge se glisse sous la suppliciées sinople et laisse le dos tenaillé par l’enfantement reposer sur sa poitrine aride. Au moins le corps, à défaut des paroles, à défaut des actes pourra être réconfortant. Son corps, elle n’a que ça à donner semblerait-il.

Et la peintre, la danseuse, la prunelle, la fouine, le coquelicot, l’abeille, la gitane, la fauvette n’est plus que meuble. C’est tellement plus pratique.



*Placebo, Protège-Moi

Alphonse_tabouret a écrit:- C’est à près de 40 lieues d’ici… Comment feriez-vous ça, Atlas ?
-En vous assommant d’un coup de pelle peut être, proposa-t-il à voix basse, le fauve montrant imperceptiblement des crocs, aussi démuni qu’exaspéré de se trouver là, les yeux perdus dans les tempêtes de Chimera, oubliant un instant la prudente nonchalance dont il était coutumier.

Handicapés l’un comme l’autre, elle par son état, ses ressentis, sa douleur, lui par l’obligation fatale de rester près d’elle, non pas pour elle, pas encore, mais pour Axelle, dont la pantomime bruyante avait cessé, saisie d’un effroi qu’il ne mesurait pas encore, tourné tout entier vers l’orgueilleuse gisante qui se permettait la bile quand on lui tendait la main. La violence du ventre se diffusa jusqu’au ravissant minois de la rousse, déformant ses traits d’une stupeur violente et muette, contrôle bien futile gardé sur sa personne quand ses cuisses, instinctives, s’ouvraient sous le poids de la désastreuse délivrance qu’elles suppliaient et que sa main, poigne de fer sans jamais avoir été de velours avec lui, lui saisit le bras.
Un instant traversé par une étincelle brutale, il laissa tomber à ses oreilles les murmures de la nymphe engrossée


- Vous semblez vous y connaitre, en ce qui est d’ici. Si Axelle vous fait confiance pour extraire comme pour planter, alors je m’en remets à vous.


-Il faudrait que vous me soyez bien chère pour que je vous accorde une once de l’attention que je dévoue à Axelle,
rétorqua-t-il lentement, crispé par la volontaire ou pas, allusion de la rousse au bâtard qui fleurissait, incertain, à des lieux de là dans le ventre de la duchesse de Brienne, balayé par ce sentiment corrosif qui lui agitait le ventre depuis qu’il avait appris la nouvelle. Aujourd’hui, c’est uniquement parce que vous lui plaisez que mes mains sont à vous…

Il chassa la main blanche de son bras quand la dextre se posait sur le genou roux et que la senestre dégageait le tissu, à la fois autoritaire et chancelant d’une terreur spontanée, le regard coulant vers l’antre béante où apparaissait, incroyable, énorme, bouleversante, l’arrondi spectaculaire d’un crane. La vue même du carnage livré aux cuisses souillées auxquelles il attachait habituellement tous les délices fut un instant occulté par cette vision incroyable de la vie pointant, acharnée, improbable…


- La tuez pas ! Le regard noir se porta surpris sur la donzelle sortant des fourrés, sorte d’angelot inattendu autant par l’apparence que par la providentielle arrivée et dont le pas décidé avait tout de la marche de la victoire à cet instant ci. Les tempes brunes entraperçurent sa propre délivrance, ou si c’était trop demandé, le partage de cette tâche ingrate d’importance devant laquelle lui-même se trouvait si proche d’exulter ses propres démons qu’il en était bouleversé, lardant ses manières de ses griffes, réduit par l’urgence à ne plus être que lui. Ma doué, elle est trempe…. J’connais ça. Vous voulez d'l’aide médicastre ?


L’aide était providentielle, mais tardive, inutile, désuète, et Alphonse, sans s’en rendre compte, joignant ses doigts à ceux de la régente sachant qu’elle les plierait jusqu’à les rompre si elle en avait l’occasion, et que l’occasion ne saurait tarder à se présenter mais ému, sans en avoir conscience, proposant par cette simple liaison la seule véritable aide qu’il pouvait apporter à la mégère, alla au plus court et pria l’angelot breton de quelques mots :

-On voit sa tête…

--Fanchenn a écrit:- On voit sa tête…

La dite providentielle blonde dirige un regard ahuri sur l’homme qu’elle pense médicastre. Bien oui, on voit la tête! Ça semble même terriblement normal, la bonne dame accouche ! Sous ses beaux atours, était-il vraiment un médicastre ? Ou peut-être était-ce le Grand Duc de Bretagne ? Cette pensée manque presque de lui laisser échapper un cri de stupeur, avant de se calmer. Comme si mère en version miniature, sur son épaule gauche, lui dictait d’arrêter d’imaginer trop de choses encore. Trop de choses comme l’amour des hommes, trop de choses comme son prétendu talent, trop de choses comme…

Un râle de la parturiente.
Quoi de mieux pour revenir à la réalité que la douleur d’une vie naissante ?

Une grande inspiration, de celles que font certainement les soldats avant d’aller à la guerre, et elle se remonte les manches. Le médicastre n'a pas bougé? Tant pis. Il est peut-être amoureux de la dame et ne sait plus que faire tellement il a peur pour elle. La blonde frotte alors ses mains sales contre sa robe sale – question d’hygiène- et elle s’accroupit. Un regard vers la femme à la peau brune.


- Vous avez eu une bonne idée Itron. Restez comme ça.


Et de poser ses yeux sur la rousse.

- Ça ne va pas être facile, mais vous allez y arriver. Toutes les femmes y arrivent, c’est la nature !

Un sourire qu’elle veut convaincant. Ma Doué, lui avouerait-elle combien elle a souffert à chaque fois ? Tout ce sang, toute cette douleur… Y a-t-il pire souffrance que l’accouchement ? Et comment se fait-on qu’on en tire après tant de joies ; pourquoi souffrir autant pour vivre ce que certains disent le plus beau jour d’une vie ?

C’est un peu de pitié qu’elle ressent pour la future mère, au final. Cette dame, elle ne lui hurlera pas dessus comme on lui a fait, à elle. On ne lui criera pas que la douleur lui reste bien, sale petite cuisse légère qui se fait grosse pour le premier homme. Elle ne lui dira pas qu’elle a mérité la mort du nouveau-né bâtard. Décidée à devenir la plus parfaite des sages-femmes et dans une prudence qu'on lui a rarement vu, la fugueuse se décide à rentrer en contact avec l’enfant en naissance.


- Itron, il va falloir un peu d’aide. Il faudrait…

Hum. Comment on explique ça ? Crier à n’en plus pouvoir ? Accepter l’idée de se sentir déchirée ?

- Pousser comme si vous vouliez envoyer l’enfant très loin. Oh non. Et souffler comme… Comme lorsqu’on reçoit les impôts du Duché !

Non. Franchement douteux. Les sourcils se froncent et la tête se crispe dans une drôle de grimace. Un regard vers ses acolytes. Pas trouvé mieux. Désolée. Un peu mal à l’aise, elle redresse le buste vers la future mère.

- Vous allez y arriver, on vous aide. Et vous avez un médicastre aussi. Et votre amie vous soutient. Vous allez y arriver et cet enfant vivra. Je m’appelle Fanchenn.

Et je vais avoir mes mains pleines de votre sang, qui tâche déjà ma robe à deux sous.

Chimera a écrit:
    [Mais c'est ce que je fais, je pousse
    j'fais que ca pousser
    Mais c'est ce que je fais, j'veux plus de bébé
    Rentrons à la maison
    Mais c'est ce que j'fait, je pousse
    j'fais que ca pousser
    J'ai mal à me taper le ventre contre le mur
    J'ai changé d'avis, je veux les pîqures]*

Les piqures. Celles d'Alphonse, en toutes attentions distrayantes qu'elles sont, sont presque aussi douces et bienvenues que l'aide potentiellement charlatanesque de la dryade. On prend tout, à ce stade, tout ce qui peut tirer l’habitant de l’hôte lassée. On prend tout, à l’heure où les valeurs sont uniformes et les frontières des affinités plus que troubles. Trêve passagère le temps d’une vie. Les mirettes fauves, bien qu'embuées par la sueur et troublées par la douleur, distinguent la présence supplémentaire, et se contorsionnent, révulsées, pour chercher en vain confirmation dans les prunelles sombres. Aux mots tabourets, elle aurait pu riposter, encore, adepte des contradictions et amatrice de derniers mots, envoyer à l’hirsute effarouché que jamais il n’aurait été admis dans pareille aventure sans la main de l’Abeille, mais l’heure n’y est plus, et le blanc symbolique se hisse.

- On voit sa tête

Quoi ma gueule ? Qu’est-ce qu’elle a ma gueule ? Inutile de le dire, rouquine n’est pas à son avantage. Une chance, aucun de ses traits tendus n’attire vraiment l’attention des adjuvants, focalisée sur le pire à venir entre les cuisses béantes. Les reins déchaînés secouent le corps à chaque fois plus exténué par l’effort, tout en trouvant à chaque épreuve la ressource nécessaire pour assumer la suivante. La voix, elle, bénéficie de la confiance relative que Cholet accorde traditionnellement à l’inconnu. Jusqu’à ….

- Toutes les femmes y arrivent.

Voilà… Terminé. Mensonge éhonté, plus encore quant on donnerait tout pour y croire. Non… toutes les femmes n’y arrivent pas. Certaines enfantent de petits gisants, d’autres offrent leur vie à celle qu’elles expulsent, comme pour payer le prix d’un équilibre cruel, passage violent d’un monde à l’autre. Elle allait protester, chasser du haut de son autorité comtale cette intruse qui fait du Tabouret un familier presque sympathique. Lui au moins, reste cru, aux deux sens du terme, et elle se surprend à apprécier l’absence des banalités pitoyablement rassurantes. Tout, même ce qui console, insupporte, et c’est encore la statuesque Axelle qui s’en sort le mieux, échappant –sans fournir l’accroche d’un mot quelconque et en se soustrayant à la griffe furieuse. Dandy n’a pas cette chance, lui. A portée de main, il se trouve privé de la sienne, au point de se faire malgré lui siamois d’une sœur imposée. Un hurlement couvre toute plainte potentielle, alors que cèdent les chairs assujetties au Triomphe, aller simple et impérieux du petit –petit ?? Titanesque, oui !- passager. A cette heure, c'est Kermorial qu'elle invoque, dans un "Lizzie" haletant, presque sanglotant, à peine perceptible.
La naissance est un déchirement. Le sens propre, ce jour, est loin de l’être, souillant du sang choletais les menottes se proposant à la réception. Acte éminemment patriotique tout en demeurant assez individuel pour souiller la terre sans pourfendre qui que ce soit. Ca lui va, à la diplomate. Quoique. Il faut bien le reconnaître, de diplomate elle n’a rien, en cet instant. Les masques impassibles sont tombés, supplantés par celui, humide et torturé, de la douleur cruelle.


- Pousser ….. envoyer ….. loin…. souffler comme… reçoit … Duché !

L’inconnue a semble-t-il pris la conduite des opérations en main, et se peint déjà de la sève écarlate abondante –trop abondante, qui s’échappe de la mère en héraut de gueules –et gueulant- annonciateur de la naissance. En bonne fauve, elle rugit, lacère la dextre malgré elle secourable. Chaque effort lui arrache un cri, qui a depuis un certain temps déjà fait fuir la vie gazouillante des frondaisons voisines.
Bonjour, Fanchenn.
Elle saigne. Trop.
Est-ce la sueur qui trouble ainsi sa vision ?
Est-ce la douleur ?
Elle est vidée, au point de ne plus savoir si la vie l’habite encore.
Est-ce son propre cri, rendu suraigu par la douleur, qui s’échappe comme déjà hors de son corps ? La conscience bientôt fait défaut, et le repos survient avec la même violence que le tumulte précédent, brutal, sans souffle retrouvé. Les crins roux en bataille reposent en le giron écarlate des jupes de l'abeille, dormeurs du val après la bataille. La voilà déjà refusant malgré elle l'attention due à l'enfant juste né. Voilà que déjà, jouet d'une fortune vicieuse, elle faillit à celui qui n'héritera pas, parjure des premières heures.

Elle saigne. Trop.


* Anais - La plus belle chose au monde - Part II
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Message  Chimera Jeu 23 Jan - 1:49

Alphonse_tabouret a écrit:
Les anges avaient le savoir, c’était bien connu, si proches placés près du Très Haut, si lumineux et si purs dans leur sourire, et chacun de leur mot était fait pour rassurer les cœurs, choyer les âmes et caresser le front des enfants sages, car tous les enfants sont sages, sans aucune exception et tous devraient avoir le droit de dormir justement, Alphonse en était convaincu.
Alors pourquoi ne comprenait-il rien de ce que disait son angelot à lui ?
N’était-il pas apparu pour le sauver lui, pour lui ôter des mains le fardeau nouveau que Chimera avait entretenu durant neuf mois plein et qu’elle offrait, impudique, à la face du monde sans même lui demander son avis, dryade débauchée, sainte en délivrance, mère en devenir… Pourquoi ne s’arrachait il pas à la vision de ce crane sale qui pointait aux jambes écartées?

I need someone, a person to talk to
Someone who'd care to love
Could it be you
Could it be you



- Vous allez y arriver, on vous aide. Et vous avez un médicastre aussi. Et votre amie vous soutient. Vous allez y arriver et cet enfant vivra. Je m’appelle Fanchenn

Fanchen parlait, et si le sens de ses palabres lui échappait, il ne put s’empêcher de la regarder dans un mélange de crainte et de respect car le ton seul l’apaisait, sûre d’elle, menteuse comme l’indiquait l’infime hésitation à ses lèvres souriantes, et le chat se demanda, mortifié, pourquoi il percevait ce genre de détails quand il se trouvait incapable de ramener ses tempes à la glace habituelle lui permettant le jongler des uns et des autres jusqu’à l’escapade salvatrice...


Situation gets rough
Then I start to panic
It's not enough
It's just a habit
Hey kid you're sick
Darling this is it



Parce qu’on le demandait ailleurs. Là, au bout de son bras, sa main mourrait, prisonnière de celle de Chimera, agonisant en même temps que la rousse, trouvant au rythme contracté de chacun de ses heurts, un écho à son propre cœur dont il aurait cru que les battements s’affoleraient quand au contraire, ils ralentissaient, gelés par l’immensité qui le menaçait. Le sang inondait l’herbe grasse, mêlant ses grumeaux à la verdoyante pureté de la clairière, tableau spectral où l’on aurait su dire s’il s’agissait de la mort ou bien de la vie qui venait poindre à cet instant ci. La dextre fut écrasée, broyée, absorbée dans un hurlement si violent qu’il submergea le comptable d’un regain de foi, de colère, d’une toute puissance absurde. La main ne se défila pas et resta, héroïque victime, dévouée à celle qui le tenait, poigne que rien n’aurait su dessouder de la nymphe échouée, pas même elle.


You can all just kiss off into the air
Behind my back I can see them stare
They'll hurt me bad but I won't mind
They'll hurt me bad they do it all the time
Yeah yeah, they do it all the time



Elle halète, elle crie, elle tremble Chimera, elle est laide et belle à la fois, furie, harpie, fée, muse, elle a dans la voix tous les sons du monde, le grognement du fauve, le glapissement de la proie, la terreur de l’homme et le tout, va au rythme de ce ventre dont le modelé se défait étrangement, darde sa vérité sur le petit groupe auprès d’elle. La douleur du plein pour devenir vide, il est donc là le secret de l’enfantement.


I hope you know that this will go down on your permanent record
Oh yeah well don't get so distressed
Did I happen to mention that I'm impressed?


La tête sortit, ronde, sanglante, fripée, hypnotisant les onyx sur les lèvres parfaites de l’enfant qui apparait entre les mains expertes de l’angelot.

I take one one one 'cause you left me
Le cœur du chat battit d’un seul coup, à la façon d’un haut de cœur quand c’était l’âme entière du félin qui se fissurait.
And two two two for my family
Naîtrait-il comme ça, son bâtard… Hagard, le brun ne songeait même plus à nuancer la vérité. Le possible était devenu sien.
And three three three for my heartache
La nausée monta aux tempes et les balaya d’un coup avec la même virulence que ne l’avait fait la mort de Quentin, sans pourtant y joindre la même saveur
And 4 4 4 for my headaches
Le cou fluet et le début d’une épaule si menue et si monstrueuse, passèrent le col.
And 5 5 5 for my lonely
La main de Chimera lentement se desserrait sans que le chat n’y prête plus attention, comme si c’était au contraire le signe inhérent de la mère à la vie qui demande à ce que le relai soit pris, et Alphonse, desserra lui aussi la pression de ses doigts à la main blafarde.
And 6 6 6 for my sorrow
Un à un, les autres s’estompaient, jusqu’à la gitane dont la présence taiseuse et terrifiée avait été remisée mais jamais oubliée, qui un instant, vacilla à son esprit dans le bouffant d’un voilage rouge pour ne laisser que la vison du nourrisson qui s’avançait.
And 7 7 7 for no tomorrow
Lâchant sa siamoise, incisé l'un de l'autre par les événements, , la dextre et la senestre s’avancèrent, instinctives vers les cuisses ouvertes , calquant la précaution de ses gestes sur ceux de Fanchen, coupelle propre prête à prendre ce que donnerait la nymphe.
And 8 8 8 I forget what 8 was for
Le bassin glissa, livrant dans la foulée les jambes recroquevillées de l’enfant quand toute la tension mourait au creux du ventre femelle, libérée, vide, si vide.
And 9 9 9 for a lost god
Le cri terrible perça l’air sans même qu’il y eut besoin de le provoquer et déchira les bois, le coton d’une descente aux enfers longue d’une vie, jetant sur le monde une vérité à laquelle personne ne pouvait se soustraire.
And 10 10 10 for everything everything everything everything (*)


-Mon Dieu Chimera… murmura Alphonse sans regarder la mère dont l’esprit tournait, ralenti, vers des limbes moins douloureuses, moins réelles, mortuaires jusque dans le pigment qui teintait désormais les genoux du brun et les mains de l’ange… il est si beau… chuchota-t-il en le prenant des mains de Fanchen, émerveillé, stupéfait, ahuri de sentir autant de vie dans un corps aussi ténu, daignant enfin, père par procuration, reprendre un semblant d’attention sur le monde en levant le regard vers sa maitresse meuble et la rousse délestée.

Axelle clignait des yeux, mais Chimera elle, laissait tout juste son souffle pale mourir à ses lèvres.



(*Kiss Off, The violent femmes)

Axelle a écrit:« Sara, Sara, Sainte et amie,
Ecoute-moi, je t'en supplie ;
Sara, Sara, Sainte et amie,
Entends ma voix, ma voix qui prie. »*



Le meuble était aveugle. Le meuble était sourd. Mais le meuble n’était pas de bois.

A chaque secousse traumatisant le corps fauve, les fibres se contractaient en cadence, supportant, encaissant les ruades du corps qui ne savait plus que faire pour calmer l’inéluctable lacération, broyé, malmené. La statue se tendait pour encourager, s’adoucissait pour rassurer lors des répits trop courts. Bête instinctive. Refoulée, emmurée tout se blottissait en son sein quand le crane roux martelait sa poitrine de trop de peur, de trop de fatigue, de trop de douleur. Et Axelle priait. Fervente, mystique. Elle ne priait pas le vieux barbu qui, pas plus qu’aucun homme, ne comprendrait ce que la Fauve endurait. Vieux barbu trop sévère, trop lointain, qui par le regard dur des hommes qu’il avait choisi pour le représenter sur terre, la refusait. Qu’il aille au diable le vieux barbu d’être si austère. La Gitane priait Sara. Prière de femmes, encore. Vierge à la peau noire, celle qui accueille, pas celle qui refuse. Celle qui court quand on l’appelle. Celle qui se dénude et offre sa robe pour l’étendre sur les vagues, pont miraculeux. Celle qui ouvre ses bras aux naufragées d'un navire sans voile ni rame.

A chaque cri, à chaque plainte, la fervente litanie hurlait plus fort sous les lèvres closes, enveloppant son l’âme pour l’entrainer vers la mère.


« Ce n'est pas le retour sur toi que tu vas trouver aux Saintes, c'est le ventre de ta mère, le sourire de ta mère, sa bouche, ses mains, ses reins. Marche pieds nus, deux cierges à la main, va sans que tes yeux ne cessent de regarder les siens. Et quand ta bouche sera près de la sienne, tu la verras sourire et prononcer ton nom. » **

Engourdie, les cris puissants se faisaient murmures quand le temps élastique dégringolait d’un sablier capricieux, enfant turbulent jouant avec la course du soleil quand un autre bataillait pour respirer. Et ce fut un miaulement pourtant presque infime qui rugit à ses oreilles, éclatant son cœur en mille éclats acérés. Chaton mouillé, faible, vulnérable, mais déjà tant intransigeant qu’il exigeait d’être vu, entendu, reconnu. Et les amandes noires s’ouvrirent, cédant à la demande de ce petit être chétif quand elle avait rejeté toutes les supplications de l’enfançon pourtant sorti de son propre ventre. Fatale erreur quand devant ses yeux, beau comme jamais, Alphonse tenait l’enfant. Un instant bref, elle le haït de lui jeter au visage ce dont elle avait été privée. Elle aurait pu le larder de ses ongles de lui laisser espérer un instant que l’enfant puisse être le sien, à elle. Lui qui allait être père... d'un autre. Et elle cligna des yeux, pour chasser la folie qui cherchait à s’immiscer dans ses veines, remettant avec une application scientifique chaque chose à leur place, pour étouffer l’égarement des sentiments, de la colère, du soulagement qu’il vive, trouvant un refuge macabre dans le rouge maculant le sinople.

Elle saigne trop. Sa voix était monocorde tout aussi vierge d’expressions que son visage. Avec une lenteur calculée pour ne pas heurter davantage, Axelle se dégagea du corps de la Fauve qui lui semblait s’alourdir dans un abandon inquiétant. Elle a besoin de soins. La crinière rousse arrachant le vert de l’herbe, les gestes étonnamment rapides et précis, la gitane extirpa de sa besace une petite vierge de bois brut, jour peut-être, elle parviendrait à la peindre, et la glissa entre les doigts de la rousse protège la Sara. Refusant obstinément de se bruler encore à regarder Alphonse, c’est sur une femme qu’elle posa ses yeux, trop courbaturée pour se demander d’où elle sortait, et conclut sans laisser la moindre chance à quiconque de riposter, j'vais chercher de l’aide. Et dans un ressac écarlate et vif, s’enfonça dans la forêt. Courir, il lui sembla que sa vie durant, elle n’avait fait que cela, se demanda ce qui un jour pourrait arrêter sa course éperdue.

La route menant au village ne fut pas longue à lézarder devant ses yeux, et bientôt la silhouette d’une charrette s’y découpa et s’arrêta devant ses signes. Un homme et son fils qui abordait fièrement une moustache qui se résumait pourtant à un duvet brun et désordonné au dessus de sa lèvre. La discussion fut brève, efficace, et rapidement la charrette repartit dans le sens inverse, laissant une bestiole figée observer le cahotement de la voiture s’éloigner vers la clairière où jamais elle n’aurait du s’aventurer. Puis d’un pas calme, trop calme, la gitane s’engouffra dans les bois pourtant étrangers jusqu’à ce qu’un tronc l’invite à s’arrêter. Reconnaissante, elle en caressa l’écorce quand son front s’y posait. Mais la caresse finalement ingrate se fit griffure féroce. Trop d’émotion, trop de silence, trop de mensonges, trop d’aveuglement volontaire. Le lien était là, qu’elle le veuille ou non, le lien était là. Mère orpheline. Elle mordit son poing pour ne pas hurler. Bestiole déchirée. Et les larmes, trop longtemps retenues coulèrent, torrent à ses joues. Trop de soulagement, trop d’espoir. Le voile s’arrachait.

Un enfant venait de naitre du ventre de Chimera, sonnant le deuil fatal de ceux d’Axelle.





* Prière à Sainte-Sara la Kali
** Paroles Pierre le Petit, kakou en Arles (Chez les gitans, le kakou, ou l'ancien, est celui qui détient une connaissance, une sagesse particulière)

--Fanchenn a écrit:Elle avait gardé le visage fermé et les sourcils froncés, essayant de générer ce qui lui faisait le plus défaut : la concentration. Cet enfant vivra. Cet enfant vivra. Cet enfant vivra.

Pour être honnête, en l’état des choses, les mains et les avant-bras rouges sang, la grosse perle de sueur aux tempes, la mère, elle ne s’en préoccupe pas trop. La mère est bien entourée de ses amis, même si elle aurait pu choisir un médicastre un peu plus compétent. Elle, Fanchenn, fugueuse, mère d’enfants à qui elle n’avait donné de prénom pressentant une existence trop courte, se concentrait sur la vie à naître. L’enfant, lui, avait tout à faire et tout à découvrir : dès son entrée dans ce foutu monde, il devait avoir quelqu’un qui le cajole. Il n'a pas d'amis. Modestement, elle s’était donnée le rôle de cajoleuse. Et d'amie. C’est ainsi que chaque centimètre de corps qui se révèle est une épreuve gagnée, c’est ainsi qu’elle ne pipe mot et que finalement, dans de derniers gestes doux, elle porte le nourrisson dans ses bras.

Et il cria, cria. Ce cri suraigu du nourrisson, qui malmène les oreilles des personnes entourant la scène et rassure le cœur des mères concernant la vitalité de l’héritier. Pourquoi les enfants crient-ils si fort, à la naissance ? Etait-ce l’air vicié de la vie rendait ce cri si fort ? Les enfants pressentent-ils le tas d’ennuis qui les attend ? Ah, on n’est jamais plus au calme que dans le ventre de sa mère. Sortez-en, vous verrez un peu ce qui vous attend. On a dit qu’on se concentre ! N’oublie, paysanne, que l’enfant n’est pas à toi. Son regard se détache difficilement du petit être bleuté-frippé, et c’est au médicastre de le prendre. Elle, reste assise à genoux, les mains ensanglantées mollement posées sur ses jambes : elle est épuisée. Elle s’était tellement concentrée, elle, la tête de linotte ! Pour sur, son cerveau ne devenait plus utilisable pour quelques jours. Grève. Alors elle ne dit rien, rien du tout, et reste dans cette léthargie auréolée de joie d’avoir aidé à donner la vie. Pas mal, pour une fugueuse qui s’ennuyait.


Elle saigne trop.

Les paupières clignent. Plusieurs fois, et vite. Elle est de retour. Un peu hagarde, elle regarde la femme à la peau brune sans trop comprendre. Elle la voit s’activer, se lever, détaler. Interdite, elle questionne d’un air benêt-n’a-pas-compris le médicastre, avant de poser les yeux sur l’accouchée. Ah elle est là, l’avait presque oubliée. Et de baisser son regard. Ma doué ! Tout ce sang ! Avait-elle saigné autant, elle ?

- Faut couvrir le bébé. Elle a raison la dame, ça va pas.

Et d’ausculter, avec un peu plus d’attention.

- Ça va pas du tout.

Elle essuie vaguement ses mains pleines de sang sur sa robe boueuse –hygiène de base – puis arrange le corps de l’accouchée le plus confortablement possible. Puis elle se lève et s’assoit à son tour, à genoux au niveau de la tête rousse. Tête qui se retrouve reposée sur jambes, rousseur emmêlée et humide en coussin.

- Faut pas partir.

Alors je vais te dire des bêtises.

- Un jour on m’a dit que nous sommes de petites étincelles issues d'une grande flamme. Elle se tait un instant, essuyant le front humide. Je sais pas ce que ça veut dire. Je ne suis pas très cultivée vous savez. Mais ça me fait penser à vous, vous êtes une sacrée flamme avec vos cheveux.

Mais arrête de vouloir faire de la poésie. Tu crois que ça va arrêter le sang?

- Vous êtes la grande flamme, vous êtes à l’origine de cette vie, l’étincelle. Et si vous mourrez et bien l’étincelle s’éteindra. Votre fils mourra. Et c’est pas un petit coup de vent qui doit vous éteindre. Franchement, on a vu pire en Bretagne.

Son regard se lève vers l’entrée de la forêt. Puis se pose, inquiet, sur le médicastre. Gast, qu’est-ce qu’ils foutent ?

Beilhal, incarné par Else a écrit:
    Registre: Naissance de Morvan-Yann de Dénéré-Malines Mini_130830114533562917


Des portes qui claquent, des pas pressés. C'est trop de tapage pour un cambriolage. Que fait donc l'hôte gitane de la comtesse avec des draps plein les mains ? Et Tabouret, en sus, qui lui emboite le pas ? En bon veilleur, je vais, pour interroger les pressés, courtoisie oblige, mais les voilà qui se soustraient à toute tentative en claquant derrière eux la porte de la demeure. Interloqué, plus qu'alarmé, je finis par faire l'inventaire des portentielles explications, jusqu'à ce que qu'inquiétude l'emporte sur stupéfaction. Et si... Un instant figé, je finis par me secouer et par traverser la cour jusqu'aux appartements de la dame Kermorial.

- Dame Elisabeth... (Alias Houston) ... je crois que nous avons un problème.

Le mot a porté. La cible se dresse aussitôt, abandonnant un ouvrage de broderie sur lequel je ne m’attarde guère, et en un instant, la voici à la porte. La cour, qu’elle fouille du regard, est désormais vide – gitane et son appui n’ont pas perdu de temps – mais la dame de cette aile-ci ne s’en trouve guère apaisée. Dans ses yeux qu’elle tourne vers moi, je lis mon inquiétude réverbérée. « Faites que ce ne soit pas… »

- Je le crains, avoué-je...

Et Beilhal ne craint habituellement pas grand-chose. Elle sait, Kermorial, qui prend cette lame-ci droit au cœur. Elle agrippe un pan de jupe, et vers le corps du logis – ou vers l’autre, mais qui ne s’y trouve pas – elle court, livide et palpitante. Papillonnesque agitation. Je connais, pour l'avoir vécu un instant auparavant. Je suis, en longues enjambées, pour rappeler :


- La gitane est sortie en courant, les bras chargés de linges, le sieur Alphonse sur ses talons…

La main pressait déjà la poignée, le vantail s’ouvrait déjà, et elle vacille devant le vide. Je la sens presque remuer l’air à la recherche de quelque chose où agripper son esprit, mais le tumulte d’un instant n’a rien laissé dans son sillage.

- De linges, tente-t-elle, dirigeant les yeux vers l’entrée de la cour, comme pour reconstituer le problème qui a pris la poudre d’escampette. Où ? N'ont-ils rien dit ?

Archéologue de souvenirs difficiles à invoquer, comme lorsqu'on cherche le contenu d'un repas pour chasser un agaçant hoquet, je fais l'analyse en quête d'un indice.

- Elles ont quitté la ville, plus tôt, pour Kerozer, le dessin.

Le fruit de la recherche est livré en bloc, charge à l'autre d'assurer le tri. Il est vite fait. La lueur dans son œil ne trompe guère.

- Kerozer... Vous connaissez bien Kerozer.
- Je connais Kerozer...

Un temps.

- Je connais...

Réitération, pour m'en persuader, distinguer entre question et assertion, savoir où, dans ce fourbi de troncs, les deux artistes auraient bien pu aller se perdre. Elle, ne doute pas. N’a-t-elle pas soufflé la réponse désirée ? quoique l’angoisse altère le ton, bémol affectant encore l’ordre de départ.

- Dépêchez. Il est peut-être temps encore de les rattraper.

Et de s'élancer vers la porte cochère, et au-delà. L'équipée fuyante devient proie. Le défi est accepté, par la force de blonde volonté, soutien tyrannique à l'urgence éprouvée. Je chasse, parfois, même si j'enquête peu. Appliquer à l'affaire les caractéristiques de la traque en ôte presque le trac, il se trouve. Bénissant cette grâce pragmatique, je fais l'inventaire des lieux de prédilection des errances rousses, sans m'apercevoir vraiment que mes jambes, déjà, filent vers Kerozer, suivies de près par la foulée Kermorial. Les mirettes, quadruples donc, scrutent l'ici et le là, dans l'espoir d'accrocher les adjuvants de fortune – aux deux sens du terme – faute de savoir où vraiment les rejoindre. Optimisme est de mise, on dit bien que toutes les routes mènent à Rome.

Rome dont elle est fille, elle, plutôt que de la forêt, me souviens-je fugitivement lorsqu’elle manque trébucher sous la ramée atteinte. Mais elle fait signe de continuer. Urgence aggravée : je dois trouver l’une sans perdre l’autre. Mais j’oublie vite. Les souffles ne sont pas soupirs encore, teintés de vive urgence, ils sont retenus parfois, quand les écoutilles se tendent à la recherche d'indices, en télescopes des océans sylvestres. Les bois ont ceci de traître que les sons semblent provenir de nulle part et de partout. Ni l'une ni l'autre de ces origines, pourtant, n’est acceptable. Mes pas, égoïstes, accoutumés tout bonnement, filent vers la clairière où la dame Lastree a sa demeure. Qui sait, si jamais Cholet avait voulu présenter la sœur à l'abeille. Qui sait, si jamais avertie de la venue, elle avait pu se hisser vers l'abri de bois…

Là. Entre deux goulées d'air, jambes à l'arrêt enfin libres d'exprimer leur contrariété tendue, je lève le nez vers l'alcôve sylvestre et me maudis presque instantanément de ma méprise. Comment aurait-elle pu s'élever là dans son état ? Je m'accuse, pour ne pas blâmer l'absente, et tourne des yeux qui se passeront du constat des mots vers la blonde. Je vois bien : le même constat lui traverse le regard, fulgurance incrédule, comme elle porte la main à une poitrine volée de son air.


- Un autre ? exhale-t-elle tout de même. Endroit, bien sûr. Un dessin, non ? Elles peignent. Un bel endroit. La lumière, les couleurs, les formes... quelque chose de particulier.

J'ai les joues rouges, pas sous l'effort, mais de lire dans les azurs kermoriaux l'égarement provoqué par mes hésitations, entre deux aiguillons qui éperonnent l’imagination. Elle saisira la première réponse.

- Là où elle fait la cérémonie des eaux...
- Où ?

Je reprends ma course, sans dire, elle sur mes talons, qui se moque d’entendre tant que je la mène. La source serait-elle l'aboutissement, cette fois ? Quelques instants plus tard, force est de constater que non, et que dame Kermorial a pâli sous l’effort. Endurance et vitesse ne font pas bon ménage. Elle demande à repartir, je la retiens : je dois réfléchir, et elle recouvrer le souffle sans lequel elle n’aidera plus personne. Elle s’effondre, j’en suis proche. Un bel endroit : ce peut-être n’importe où, pour peu que la comtesse ait voleté au gré des envies en compagnie abeillère.

Combien de temps ? Les images défilent derrière mes yeux, tandis que ma suiveuse boit tremblante l’eau de la source. Dans la cavalcade, les quatre épingles auxquelles elle est de coutume tirée se sont perdues ; mais il n’y a rien là qui puisse m’étonner. Je l’ai rencontrée comme ça. Perdue. Mais cette fois, je n’ai pas de monture à proposer, et elle, ne craint pas pour sa propre vie. Elle relève les yeux, dans l’attente. Un instant plus tard, nous sommes repartis, courant de lieux en lieux sur la piste absente de qui ne bouge pas.

Je me fige soudain, persuadé d'avoir saisi l'écho d'un cri. C'est elle. C'est elle parce que je veux que ce soit elle. Me voilà presque heureux de saisir ce que je souhaite être une exclamation de souffrance, bénie dans ce qu'elle a d'exclamation, tant pis pour la souffrance. Je jette un œil à ma compagne de traque, dont le visage s’est éclairé, et je retrouve soudain l'énergie qui commençait à manquer. Je coupe à travers bois, sans me soucier des branches et autres ronces qui lacèrent les jambes.

Déboulant sur un sentier, je manque d'entrer en collision avec l'objet de mon ultime méprise. Double. Tous deux arcboutés sur une charrette, à pester contre l'animal de bât qui peine à sortir son fardeau de l'ornière. Quoique, la panique d'avoir été surpris par deux chasseurs à bout de souffle aurait presque aidé. La bête, d’un coup puissant de l’échine, ramène la voiture sur le chemin, éparpillant père et fils au passage. La dame Kermorial ne leur laisse pas le temps de souffler – ni à elle-même :


- Besoin de votre aide…
- C’est qu’on est pressés… Y’a une dame qu’a enfanté, par là, et même qu’y parait qu’ça s’passe pas trop bien…

Je pâlis probablement autant que la blonde jaillie des fourrés. Deux mots plus tard, les traqueurs se font éclaireurs, partis en avant du charriot branlant, espérant à la fureur les cris d’enfant qui bientôt – enfin ! les guident et les attirent. C’est là. Je n’aurais su deviner l’endroit où, finalement, nous débusquons la petite formation : Tabouret en admiration devant l’enfant nouveau-né, une femme alarmée aux mains baignées de sang… et allongée, les yeux mi-clos, ma dame aux jupes rougies, sur laquelle fond la blonde. Ambiance débarquement. Un bras ferme cueille l’accouchée, et dextre impérieuse comprime le bas-ventre en souffrance.

- Un charriot arrive, claque la voix blanche. Laissez-lui de l’air. Beilhal, vous m’aiderez.

Ce que Kermorial veut... L’équipage arrive, du reste, sur lequel hisser le précieux chargement.

[écrit à quatre mains]

Alphonse_tabouret a écrit:Les voix s’effilochaient aux oreilles du comptable dont l’attention était incapable de se porter assez sur le monde environnant quand il tenait le secret de l’univers au creux de ses bras, boule de vie incandescente, poison au ventre de sa mère, aux tempes d’Axelle, aux souvenirs de Fanchen et à la solitude du chat. L’égoïsme, valeur si chèrement défendue chez le félin diffusa son parfum entêtant à une rapidité qui n’eut pas le temps de le laisser pantois, abandonnant l’expression de sa maitresse coquelicot au néant, snobant, cruel, toute la douleur de son regard, toute la haine des souvenirs venant enfiévrer ses prunelles sombres. Le ventre rond d’Axelle quelques semaines plus tôt n’existait plus, pas plus que celui de Maltea, car à cet instant, tous avaient désenflé en même temps que celui de la nymphe acerbe, noyant Alphonse dans un délire éthéré de béatitude.
La solitude lézardée aux sons hoquetant du précieux trésor dans ses bras, l’aveugla avec une telle facilité qu’il accueillit les directives des femmes avec une indifférence royale, portant sur le spectacle qui se déroulait, une attention lointaine, diffuse, filtré par une importance toute autre.
Chimera saignait.
Et alors ?
Axelle s’enfuyait.
Et alors ?
Fanchen s’angoissait.
Et alors ?

Et alors, ça te fait quoi, toi ?
Le doigt du flamand passa sur les lèvres bombées de l’enfant, minuscule bouche qui avait poussé ce cri à ce point tonitruant qu’il avait écorché la vie jusqu’à le briser lui, l’inaltérable pion, l’éternel taiseux dont le sourire se commandait, systématique à son interlocuteur
Toi tu t’en fiches, tu as déjà vaincu. Tu es né.
Le sourire d’Alphonse déborda une seconde de son carcan pour fleurir en regardant le nouveau-né, ouvrir et refermer sa bouche baveuse, rose, gouffre sans dents, tunnel infernal qui pouvait faire vibrer le monde d’un seul vagissement.


Des sons, des pas, le tumulte, aucune importance puisque le monde avait explosé au même rythme que le ventre roux de Chimera, délivrant dans sa mélodie cacophonique , l’enfer et le paradis en même temps, jumelant un instant la lune et le soleil pour ne laisser que l’éclipse dans laquelle s’enfonçait le jeune homme.
Ce fut bizarrement le bruit du chariot qui l’arracha à sa contemplation, honorant enfin les alentours d’un semblant d’attention quand la brulure du corps minuscule agrippait son âme toute entière et il resta réellement interdit en posant ses onyx sur la haute stature de l’homme à ses côtés, chargé d’une ombre pale, d’une flamme vacillante portée à bout de bras..

Dans ses bras, c’est ta mère.

L’enfant gigota, tendit un bras aveugle qu’il replia quasiment immédiatement quand Alphonse percevait enfin la silhouette de la Kermorial.


-C’est un garçon, dit-il finalement, comme si cela expliquait tout, comme si la vie, quelle qu’elle soit, ne primait pas toujours sur la mort et ses complications, comme si le fils de Cholet tenait à lui seul, les secrets et les droits de ce carnage dont il ne restait à présent que le vide béant, que le sang oxydé et quelques effets à dessins.
Et de fait, il les avait.
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